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Quand j'entre dans la salle de boxe, après six jours sans y avoir mis un pied, je suis accueilli par Mel, avec un coup de poing dans l'épaule. Si j'ai clairement un problème pour exprimer mes sentiments, lui, il en a un pour toutes les relations humaines. Quand il apprécie les gens, il les frappe. Je cherche encore la logique de tout ça, même après huit ans à le côtoyer.

— T'étais où, gamin ?

— Au travail ! Grosse saison les fêtes de fin d'année pour le bar !

Il hoche la tête comme s'il le savait mais il ignore tout, des habitudes des bars. Il n'a jamais dû mettre les pieds dans l'un d'eux. Il n'a jamais bu une goutte d'alcool ce qui peut être assez choquant venant d'un pur anglais.

— Tu es sûr que c'est que ça ?

— Bien sûr ! Tu sais que je ne peux pas me passer de tes caresses et de tes belles paroles, lui lancé-je ironique.

Il me jette un regard que je n'arrive pas à décrypter puis me donne une tape sur les fesses en me reprochant de ne jamais lui donner de nouvelles et m'ordonne d'aller me changer. Je lève les yeux au ciel pour lui signifier que ce qu'il me dit ne m'atteint pas alors que ce n'est pas du tout le cas et nous le savons tous les deux.

Pendant tout mon entraînement, j'ai la tête ailleurs. Je loupe tout ce que j'essaie de faire parce qu'à chaque instant, je m'attends à voir apparaître Gaspar dans la salle. Je ne sais pas pourquoi mais il est de retour à Londres, je l'ai vu et même si je ne lui ai pas parlé ou que Mel ne m'en a pas parlé, je sais qu'il est là, quelque part dans la ville.

Au fond de moi, je ne sais pas si j'ai hâte ou si j'ai peur de cette rencontre. Tout ce que je sais, c'est que je prends assez mal le fait qu'il fasse tout pour m'éviter. A la salle, au bar... Entre nous, ça s'est mal terminé, par ma faute, j'en conviens mais ça fait un an qu'il est parti. On peut essayer de passer à autre chose, de retrouver notre ancienne amitié parce qu'elle mérite mieux que cette ignorance.

Je balance un uppercut mais bien entendu, je n'atteins pas mon but. Tous mes questionnements concernant Gaspar me prennent la tête et ça se ressent dans ma manière de frapper. Cependant, après deux heures à boxer, Mel ne me loupe pas. Il me donne une tape derrière la tête dès qu'il a posé son gant et me balance :

— Si tu viens ici pour rêvasser au cul de tes conquêtes, tu peux rester chez toi la prochaine fois, c'est clair ?

Je fronce les sourcils et marmonne :

— Ouais, c'est ça...

J'ai beaucoup de défauts mais je ne suis pas le genre à avoir des conquêtes. Coucher et jeter le lendemain, très peu pour moi. De plus, après Gaspar, je crois qu'il va me falloir beaucoup de temps pour retrouver quelqu'un en qui avoir confiance et encore plus pour qui avoir des sentiments. Après, il ne faut pas que j'oublie que Mel n'est pas au courant pour ma relation avec son fils alors il ne peut pas comprendre pourquoi me parler de conquêtes me blesse et souille quelque part mon histoire avec Gaspar.

Je descends du ring, fais deux pas avant de faire un brusque demi-tour vers Mel qui est appuyé sur une corde pour me regarder m'éloigner et lui déclare, en le pointant du doigt :

— Tu me fais chier avec tes réflexions ! Si tu ne me vois pas dans les prochains jours, tu sauras que, cette fois, ce sera de ta faute.

Je jette mes gants par terre, excédé. Au fond, je sais que je réagis ainsi à cause de Gaspar. Que ce ne sont pas les remarques de Mel qui me font péter un câble mais je ne peux pas m'arrêter parce que Gaspar n'est pas là pour prendre toute ma rancœur alors c'est son père qui prend pour lui.

— Et puis, arrêtons de nous cacher la face, tu sais aussi bien que moi que je n'ai aucun avenir dans la boxe. Aucun avenir tout court. Aucun !

Je commence à faire les cents pas à deux mètres du ring, je ne gère plus rien et surtout pas mes paroles :

— Et tu sais où tu peux te les mettre mes conquêtes ? Qu'est-ce que tu veux que j'apporte à qui que ce soit ? Je suis comme mes putains de parents. Je suis incapable d'aimer convenablement quelqu'un.

Cette dernière phrase... Ce sont presque les mêmes mots que j'ai dits à Gaspar quand il m'a fait son ultimatum l'année dernière. Mon cœur se brise à cette pensée. Presqu'un an. Presque 365 putains de jours. Et je n'ai pas évolué, on dirait.

Je déglutis et ne lui laisse pas le temps de me répondre quoique ce soit. Je m'enfuis dans les vestiaires pour récupérer mes affaires. Je suis à peine entré dedans que je remarque un petit carton blanc plié en deux sur mon sac avec marqué dessus « Santa Secret ». Je soupire. J'en ai marre des cadeaux, des papiers, des lettres, des mots laissés sur mon passage comme si j'avais la peste et que j'étais trop contagieux pour qu'on me les donne en personne.

Je l'attrape et le balance plus loin. J'enfile mon pull en laine, entortille mon écharpe autant de mon cou et mon sac de sport sous le bras, sors d'ici. Je n'ai pas fait un pas dans la salle que je me retrouve à un mètre de Mel, il a les bras croisés devant son torse musclé et me fixe. Je sais que je n'aurais pas dû lui parler ainsi, que j'ai agi comme l'enfant pourri gâté que je ne suis pas mais c'est plus fort que moi. Je renifle de manière dédaigneuse et lui crache :

— Et tu diras à ton fils d'arrêter son cirque. C'est lui qui est parti alors qu'il vienne pas me faire chier aujourd'hui.

Je fais un geste pour partir quand la voix de Mel me cloue sur place :

— Donc tu n'es pas intéressé par un combat le soir du réveillon de Noël ?

Il n'y a pas dix mille explications. Soit il me prend pour un imbécile, soit c'est lui l'imbécile. Je me tourne vers lui et croise moi aussi les bras, un sourcil levé sous l'incompréhension.

— On m'a proposé un combat qui pourrait te rapporter gros. Vu que tu n'en as rien à foutre de Noël...

— Je viens de te dire...

— Ouais, je t'ai entendu, me coupe-t-il. Un dernier combat. Je te demande juste un dernier combat. Tu le perds, je ne t'entraînerai plus mais si tu le gagnes... ça sera le signe que tu as peut-être un avenir.

— Un seul combat ?

— Ouais, confirme-t-il immédiatement.

Je laisse mes bras retomber le long de mon corps. Je n'ai pas envie d'arrêter la boxe mais je me dois d'être objectif sur mes capacités. Je ne serai jamais le grand champion que Mel voulait faire de moi et que je rêvais d'être. J'ai beaucoup plus d'avenir en tant que barman. Mais après tout ce que Mel a fait pour moi, je me dois de le faire ce dernier combat.

— Je le ferai mais ne sois pas trop optimiste, le préviens-je en posant mon sac par terre.

— Attends-toi à être surpris. On se voit demain, première heure.

Cette fois, c'est lui qui me laisse en plan pour s'engouffrer dans son bureau. Je reste immobile, étonné qu'il soit parti aussi vite. Le combat est dans quatre jours et il ne me dit rien sur mon adversaire, sur ses statistiques et ses faiblesses ?

Des bruits sourds m'empêchent de réfléchir à l'illogique de mon entraîneur. Je jette un regard à l'immense pièce et remarque qu'elle est vide à l'exception d'un jeune qui boxe contre un sac. Il porte un de ses casques de protection que je trouve ridicule et qui me cache son visage. Je l'observe de longues minutes. Il est doué. Très doué. Plus doué que moi. Pourquoi Mel ne l'entraîne pas, lui ? Pourquoi Mel s'entête avec la tête brûlée que je suis ?

Je secoue la tête, ramasse mon sac et pars réellement cette fois.

Second ChanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant