8 : Que survienne le crépuscule

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La lueur de l'aube perçait à peine l'épaisse chape de brouillard qui s'étendait sur les flots.

Erling Bjarnason avait passé une longue semaine à chercher un navire qui puisse le conduire en terre ennemie. Il avait trouvé un anglo-saxon qui acheminait des cargaisons entre les deux royaumes, en un simulacre de paix.

Il avait donc quitté le Danemark à bord du bateau d'un dénommé Eardulf, officiellement pour rejoindre son demi-oncle Dagomar et l'aider à faire prospérer son commerce. L'ancien chef de clan avait esquivé les questions indiscrètes par quelques pièces d'or. Sveinn s'était montré généreux à l'issue des négociations, mais cela n'empêchait pas le saxon et son équipage de le regarder avec une méfiance craintive.

Après trois semaines de navigation, ils finirent par conclurent qu'un danois, seul, avait peu de chances de mener un raid contre l'Angleterre.

Erling but une longue rasade à son outre, resserra les pans de sa cape, vérifia d'un geste mécanique que son épée était toujours présente à son côté. Le commerçant Eardulf enjamba un cordage pour s'approcher de lui.

— Le vent nous a été favorable cette nuit, lui apprit-il dans un norrois appliqué. Nous arrivons en vue des terres saxonnes.

L'homme du Nord se tourna vers la proue, tentant de discerner les formes côtières du royaume ennemi. En effet, il pouvait distinguer de vagues silhouettes décharnées crevant les brumes et l'écume.

— Fort bien.

— Ce fut un plaisir de traiter avec vous, poursuivit le saxon avec un sourire entendu en portant sa main à sa bourse. Il faut dire que mes revenus sont modestes ces derniers temps. C'est qu'avec ce tribut que nous avons eu à payer, personne ne se soucie de nous autres, commerçants. Enfin, j'ose espérer que de nombreux liens se tisseront entre nos deux royaumes. Avec cette trêve...

Eardulf laissa sa phrase en suspens, semblant chercher une confirmation dans le regard d'Erling, qui retint un sourire moqueur.

— Je l'espère aussi, grogna-t-il.

***

L'aube pointait en une lumière pâle et bleutée, caressant le visage d'Eldrid. Godwin laissa son regard errer sur l'auréole sombre de ses cheveux encadrant sa peau blanche, sur la courbe de son front, sur ses cils gracieux qui emprisonnaient ses yeux dans le monde des songes. Fasciné, il la contemplait tant qu'elle ne pouvait le voir, tant qu'elle ne pouvait se soustraire à son regard. Lorsqu'elle dormait, elle lui semblait moins inaccessible. D'un mouvement irrépressible, ses doigts frôlèrent sa joue, la faisant s'agiter dans son sommeil.

Godwin n'avait de cesse de penser aux paroles prononcées par la devineresse, une semaine plus tôt. Elle annonçait le retour des danois — ce dont il se doutait. Ce qui l'inquiétait le plus était que la femme avait prétendu lire l'avenir d'Eldrid. Et cela lui était insupportable.

Il avait été assez près pour entendre les mots de cette maudite sorcière, et ce qui avait été dit ne lui plaisait pas le moins du monde. Il se gardait bien de partager ses craintes avec l'ancienne thraell, mais il ne pouvait nier que certaines phrases étaient troublantes.

Eldrid allait être de nouveau mêlée aux barbares, s'il ne faisait rien pour démentir l'avenir dicté par la devineresse. « Le frère tue le frère », n'était-ce pas là un moyen détourné de désigner ce qu'il avait fait à Edmund ? L'image de sa lame transperçant la chair de son frère d'armes le hantait, jour et nuit. La culpabilité était telle qu'elle l'étouffait la nuit. Il n'avait peut-être pas tué Edmund, mais il l'avait perdu de façon irrémédiable.

Thraell 2 : Jusqu'à ce que sonne Gjallarhorn  [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Where stories live. Discover now