Bribe

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Il l'avait longtemps enfoui dans sa mémoire, ce souvenir-là. Pourquoi maintenant? Pourquoi se manifester à cette heure tardive? Peu importe. Il a besoin de comprendre pourquoi il veut faire ça. Il le laisse remonter à la surface et l'envahir.

Une femme se tient assise sur une chaise, dans une pièce dorée. Il remarque le petit lavabo en porcelaine, la table en chêne sur laquelle des papiers s'amoncellent, et comprend enfin qu'il est dans une prison. Les blindages dorés de la porte, les murs en or, cela aurait du lui sauter aux yeux.  Il contemple avec curiosité le tatouage de la femme, qui lui forme un loup sur le visage. Elle a les yeux clos. Sa robe de taffetas et de soie rose, ses cheveux bouclés qui tombent sur ses épaules avec grâce, tels des cascades dorées, elle a tout d'une femme de la cours. Ou plutôt, elle a tout d'une ancienne femme de la cours. Sous sa robe, son corps maigre, ses côtes saillantes, prouvent qu'elle n'est plus en grâce.

Elle murmure, dodelinant de la tête, son beau visage mouillé des larmes qu'elle avait versé. Quand, enfin, elle ouvre les yeux, elle se lève et esquisse quelques pas de danse. Elle semble enfin apercevoir le jeune garçon au teint pâle, trop grand, trop maigre, et son profil en forme d'aigle; ses cicatrices qui lui zèbrent le visage, ses cheveux blonds soigneusement peignés en arrière.  Son visage se déforme aussitôt par la rage, la haine et la colère. Elle s'approche du jeune homme et grimace en le regardant.

"-Viens, ordonne-t-elle. Elle lui appuie son pouce sur le front et ferma les yeux. Le garçon titube quelques instants sous la pression, qui lui fait l'effet d'une brûlure. Puis il serre les dents et supporte la douleur. La femme finit par retirer son pouce, le laissant la tête bourdonnante. Elle recule et le contemple avec dégout.

-Il y a ceux qui ont les faveurs de Farouk, ceux qui les ont perdues et ceux qui ne les auront jamais. Moi, je les ai perdues, mais toi, toi, tu ne les auras jamais.

-N'en soyez pas si sûre, Madame, articule le garçon avec raideur. La femme éclate d'un rire cristallin.

-Tu es et restera toujours un bâtard aux yeux de tous, professe-t-elle. Elle s'éloigne de quelques pas, sans cesser de le regarder, le jaugeant, le jugeant.

-A qui la faute, Madame? rétorque-t-il. Ce n'est ni la mienne ni celle de tante Berenilde.

-Est-ce ma faute d'avoir voulu rendre mon clan plus fort? argumente la femme. Est-ce ma faute?

-Quand on fait un acte, il faut l'assumer, asséna le jeune garçon. Vous avez peut être vraiment voulu rendre le clan des Chroniqueurs plus fort, mais vous ne m'avez pas accepté, Madame. Vous n'avez pas assumé votre acte. D'ailleurs, ajoute-t-il, tante Berenilde m'a tenu informé de vos... méfaits, lâche-t-il d'une voix écœurée. Vous étiez une intrigante, une dépravée.

-C'est facile de critiquer les autres, minauda la femme. Et ne me parle pas de cette Berenilde! Soit, je suis une intrigante. Mais, elle, cette femme du clan des Dragons, n'est-elle pas elle aussi une courtisane, n'en est-elle pas une également? Le garçon se leva, pâle comme la mort.

-N'insultez pas Berenilde! rugit-il. La femme se tourna vers lui, hystérique.

-Pars! hurla-t-elle. Pars! Le garçon marcha à pas lourds vers la porte , et au moment de la franchir, déclara:

-Adieu Madame."

Le souvenir s'arrête là. Il comprend maintenant. Son plan est fou, mais il sait ce qu'il fait, et pourquoi il le fait. Thorn se lève de son bureau et contemple la nuit polaire. Il allait avoir besoin de sa tante. Il allait se marier. Thorn retourne à son bureau et saisit un prospectus de "Voyage à travers les arches".  "Vous pouvez faire expertiser vos objets ou faire remonter leur histoire par nos liseurs professionnels", décrit la brochure. Il soupire, puis regarde les petites images colorées du dépliant. Il allait se marier. Et il allait prendre pour épouse une liseuse d'Anima...

Du point de vue de ThornOù les histoires vivent. Découvrez maintenant