La partie de cartes

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Décembre, neige, brouillard. Bruits de grêlons se succédant à cadence rapprochée, brisant la monotonie du silence environnant. Les lumières sont livides, les néons bourdonnant sourdement.

Une vapeur cotonneuse s'avance majestueusement dans la rue et l'enveloppe progressivement d'une couverture opaque. Un sifflement aigu crève la langueur de cette nuitée qui n'en finit plus de s'étendre.

Les rails crissent sous le passage de la machine de fer, les roues se débattant avec le métal sur une quinzaine de mètres. Le silence revient, fragile et ténu, pour être finalement balayé par un bruit de cavalcade.

Thëtis, cheveux épars et l'air cadavérique, galope sur les pavés de la route, traînant son corps que ses jambes peinent à porter. Arrivée au croisement du carrefour, elle semble hésiter sur la direction à poursuivre et finit par s'engager cahin-caha en direction du faubourg.

Au loin, un hululement retentit, bref et monocorde, bientôt suivi par des aboiements rauques et sonores. Des griffes égratignent les pavés et une truffe fait irruption dans la ruelle, humant avidement l'air avant de s'élancer sur les traces de la jeune fille.

Haletante et frissonnant, Thëtis essuie frénétiquement son front perlé de légères gouttes humides et peine à reprendre son souffle derrière la porte qui l'abrite pour le moment.

Maudit travail qui l'oblige à rentrer aussi tard, chaque soir étant le même combat pour rentrer saine et sauve à la maison. Mais aujourd'hui plus que d'habitude, le combat fut rude et elle avait bien cru y passer.

Le Balafré avec son chien avait fini par repérer ses allées et venues et l'attendait en face de la pouponnière, son sourire goguenard sur les lèvres. Son chien en laisse grognait et montrait les dents en retroussant ses babines, affamé par son maître afin qu'il soit plus efficace dans sa besogne.

Il était connu dans la ville pour dégoter les secrets des plus démunis, les plus faibles qui ne pouvaient se défendre face à sa violence. Ici, c'était chacun pour soi et les moutons seront bien gardés.

Certains en venaient même à dire qu'il avait été recruté par les services de police afin de désengorger les rues de tous ces mendiants, en échange de solides primes bien sûr.

En attendant, sa nouvelle proie venait une nouvelle fois de lui échapper et il ne décolérait pas, frappant et insultant son chien qui gémissait en abaissant ses oreilles. Celui ci n'avait pas mangé de la veille et n'aurait sans doute rien encore aujourd'hui en guise de punition.

Lorsqu'elle les entendit s'éloigner, Thëtis soupira et se laissa tomber sur le sol, épuisée par tant d'émotions.

En plongeant sa tête dans ses mains, elle se prit à songer à un monde neuf, un monde où chacun naîtrait libre de tout secret et aurait la possibilité de vivre sa vie comme il l'entend.

Elle était fatiguée de toujours devoir lutter, se pincer les lèvres pour ne pas rétorquer vertement aux blagues qu'on lui lançait pour découvrir des indices.

Toute sa vie, elle s'était hasardée en vacillant sur un fil, passant successivement les jours jusqu'à sa majorité.

Le pire avait été au lycée. Combien de ses camarades avait elle vu disparaître du jour au lendemain, tandis que les plus astucieux affichaient des mines réjouies et soulagées d'avoir découvert un secret, leur offrant la possibilité d'une seconde chance.

En effet, lorsque chaque personne venait au monde, un secret lui était donné, qu'aucune personne ne devait connaître sous peine d'en perdre la vie.

Pour les enfants, on simplifiait ce processus en leur expliquant que le secret était l'essence contenue dans notre cœur et qu'il se brisait lorsque il était découvert.

Le but étant de découvrir le ou les secrets des autres afin de survivre le plus longtemps possible. Chaque secret découvert permettait ainsi à la personne de se l'attribuer et d'avoir une chance de plus de vivre, au cas où un de ses secrets seraient découverts.

Au primaire, Thëtis se souvenait vaguement du fils Povard qui amadouait les filles pour gagner leur confiance et ainsi leur faire avouer l'impensable.

Leurs familles étant en froid, elle avait eu la chance d'échapper à ce traitement de faveur, contre son gré à vrai dire car malgré la noirceur du jeune garçon, son visage angélique et charmeur avait attiré l'attention de la jeune fille.

Au collège et lycée, ce fut dans la continuité du primaire que Tristan Povard accumulait des réserves de secrets, brisant des foyers entiers.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 07, 2018 ⏰

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