2 : Trêve et guerre

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Erling Bjarnason soutint le regard bleu vif du Jarl par-dessus sa coupe de vin.

— C'est une mauvaise idée, maugréa-t-il.

— Mais le roi des saxons demande une trêve.

— Est-ce une raison pour accéder à sa demande ?

Le monarque poussa un soupir.

— Ce ne sera que l'affaire de quelques mois. Je ne renoncerai pas à mes projets de conquête.

— Nous n'avons rien à gagner d'une trêve.

— Nous aurons de l'or. En quantité.

— Nous n'avons pas besoin de davantage d'or.

— C'est vrai. Mais l'ennemi, lui, en aurait besoin. Il y a d'autres manières d'affaiblir un royaume que par le sang versé.

Erling haussa les épaules.

— Soit, grommela-t-il. Pourquoi m'avoir fait venir, dans ce cas, si vous ne désirez pas que je mène vos hommes au combat ?

Le roi du Danemark eut un sourire.

— Je t'envoie négocier.

— Négocier ? répéta-t-il d'une voix maussade.

— Tu doutes de tes compétences en la matière ? Peut-être pourrions-nous envoyer ton frère. J'ai entendu dire qu'il...

— Non.

Une réponse sèche, définitive, qui n'appelait aucune contradiction. Sveinn sourcilla devant le ton impérieux qu'il avait employé.

— Comme tu voudras. Il est vrai que tu n'es pas le plus patient des hommes. Mais tu as mes intérêts à cœur, et c'est tout ce dont j'ai besoin. Tu sauras mieux que quiconque affaiblir le royaume saxon.

Il plongea son regard dans le sien. Erling le soutint, décelant une pointe de fierté dans la voix implacable du monarque.

— Et surtout, tu ne plieras pas.

— En effet.

— Bien. J'ai fait affréter un navire à Ribe. Tu pars dans une semaine.

Erling Bjarnason acquiesça sèchement, puis vida sa coupe de vin. L'idée d'aller palabrer avec les saxons au lieu de les combattre l'horripilait. Il prit congé, son désir de vengeance brûlant en lui. Un élan de rage le traversa alors qu'il quittait la demeure du monarque.

Les dieux se plaisaient-ils donc à le contrarier sans cesse ? Peut-être aurait-il dû envoyer Örvar à sa place. Lui savait comment manier les mots. Et même s'il ne le lui avouerait pour rien au monde, il saurait mieux que lui faire plier l'ennemi. Mais non. Son frère resterait en Danemark. Il ne pouvait l'envoyer en territoire ennemi.

Certes, négocier avec les saxons n'était pas la vengeance qu'Erling espérait ; mais au moins aurait-il la satisfaction de les voir s'affaiblir devant lui, de les voir renoncer à leur or.

Il se dirigea vers la demeure qu'il occupait, non loin de celle du monarque. Comme à chaque fois, une haine viscérale implosa en lui lorsqu'il croisa Sigrún sur le seuil. La femme n'était pour rien responsable de la colère qu'il ressentait. Simplement, elle lui évoquait à chaque fois le souvenir douloureux d'Eldrid Sigrunardottir, faisant peser sur lui le poids de ses erreurs. Il avait été si stupide de croire qu'il pouvait faire confiance à une thraell. À une ennemie.

La femme ne dit rien devant son regard brûlant de haine, et il s'engouffra à l'intérieur. Örvar était assis devant l'âtre avec son fils, et cette vision suffit à augmenter d'un cran sa rage. Son frère se leva lorsqu'il l'aperçut.

— Me laisseras-tu combattre avec toi, cette fois ?

Erling lui adressa un regard noir. Jusque là, il avait toujours refusé que son frère prenne part aux raids.

— Non.

— Pourquoi ?

— Je ne pars pas combattre.

Le Konungr poussa un soupir.

— Que t'as demandé le Jarl, alors ?

— Ça ne te concerne pas.

Il vit son frère se crisper.

— J'ai le droit de savoir. Je suis ton frère.

— Mon demi-frère, rectifia-t-il machinalement en s'asseyant.

Örvar demeura silencieux. Ce fut la première chose que nota Erling. Lorsque le silence s'éternisa, il lui jeta un regard. Le jeune homme le surplombait de l'autre côté des flammes, figé, les yeux écarquillés, le visage blême.

— Alors c'est cela ? siffla-t-il. Tu me considères comme indigne de ta personne ?

— Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, maugréa Erling.

— Je ne suis donc rien qu'un demi-frère à tes yeux, un moins que rien dont tu ne veux pas t'encombrer ?

— Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, répéta-t-il d'une voix où grondait l'orage.

— Oh si, c'est exactement ce que tu as voulu dire, ragr !

Erling se figea. Puis, très lentement, il se leva, une main sur la garde de son épée.

— Ne m'insulte pas. Je suis le chef de ton clan et j'exige que...

— Tu es avant tout mon frère. Il n'y a plus de clan ! Tu l'as toi-même réduit en cendres !

— Retire ce que tu viens de dire. Immédiatement.

— Cesse de me donner des ordres. Ou je te jure que...

Erling dégaina, à une vitesse fulgurante, la lame cinglant l'air si rapide qu'elle en devint un éclat flou. La pointe de son épée s'arrêta à un millimètre de la jugulaire d'Örvar.

Un sourire joua un instant sur les lèvres de son demi-frère.

— Voilà à quoi nous en sommes réduits ? À nous quereller, à tuer ou nous faire tuer par notre propre frère ?

— Si tu apprenais à te taire, les choses seraient bien plus simples.

— Si je me taisais, il n'y aurait plus personne pour te remettre sur le droit chemin quand tu t'égares. Range cette épée, mon frère.

La voix était douce, mais sans appel. Le Konungr abaissa son arme et la rengaina, captant au passage le sourire satisfait de son demi-frère au moment où le métal chuintait dans le fourreau. Il serra les dents.

En quelques enjambées, Erling fut dehors. Il sella en quelques gestes vifs son destrier, et piqua en direction de Ribe sans un regard en arrière.

Örvar avait raison — il avait toujours eu raison. Et c'était précisément ce qui agaçait au plus haut point Erling. Il était déjà difficile de s'avouer à soi-même ses erreurs. Il ne supportait pas que la seule personne à qui il tenait un tant soit peu dans ce bas monde les lui rappelle sans cesse.

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Rythme de publication un peu plus lent que sur le tome 1... J'ai un peu moins de temps ces temps-ci, mais je vais me remettre à poster plus souvent dès que possible. :)


Thraell 2 : Jusqu'à ce que sonne Gjallarhorn  [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Where stories live. Discover now