Au cours d'un clair de lune

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Alan travaillait tard, ce soir-là. Son patron était en voyage d'affaires et un nouveau client venait de passer une commande comme jamais il n'en avait vu depuis son arrivée dans cette entreprise. S'il voulait obtenir l'augmentation qu'il désirait tant, il devait marquer autant de bons points que possible et, cette commande, traitée correctement, pouvait lui rapporter le solde manquant au total de ces points. Il commençait gentiment à fatiguer. Ses paupières se fermaient de plus en plus, il se sentait au bord du bâillement. « Allez, mon gaillard ! se dit-il. C'est l'heure de rentrer à la maison. De toute façon, rien n'est plus risqué que de travailler dans un tel état de fatigue. » Il éteignit son ordinateur, prit son manteau et sortit.

Il marchait dans la rue, essayant de ne pas tomber endormi avant d'arriver à l'arrêt auquel il avait pour habitude de prendre son bus. Alan avançait lentement, cheminant le long de la route. Un gros véhicule passa à côté de lui en le faisant sursauter. C'était son bus. Il se mit à courir pour ne pas le manquer. Alan vit les phares du véhicule s'allumer et comprit qu'il était trop tard. De l'autre côté, une jeune femme courait également dans la direction de l'autobus en criant, mais en vain. Le bus s'engageait dans la circulation. Alan la vit s'asseoir sur le banc, l'air désespérée. Il arriva à l'arrêt et s'assit. Elle était belle. Ses longs cheveux bruns tombaient jusque aux épaules, masquant légèrement ses sombres yeux en amande, exactement le genre de femme susceptible de le séduire. Elle devait avoir quelques années de moins que lui, peut-être quatre ou cinq ans de moins, pas plus. Elle ne lui lança pas même un regard. Sa fureur l'avait-elle momentanément aveuglée ?

Le bus suivant arriva une quinzaine de minutes plus tard et Alan le prit. La demoiselle emprunta une autre porte. Il se demanda si un match de football venait de se terminer car le véhicule était bondé et la plupart de ses passagers chantaient à tue-tête, l'air joyeux. Il trouva une place libre près d'une fenêtre et prit place. Soudain, une voix s'adressa à lui. « Je peux me poser là ? » demanda-t-elle. Il tourna la tête et vit la jeune femme qui avait manqué le bus en même temps que lui. Il eut l'occasion de mieux la voir. Elle devait être malade. Ses yeux étaient cernés et son teint pâle et légèrement cireux. Elle n'attendit pas la réponse et s'assit. « Je vous ai vu, tout à l'heure, lui dit Alan. Je l'ai aussi manqué. Le bus ! »

« - Ça m'arrive de le louper, parfois, dit-elle.

- Et moi, je n'ai pas vraiment fait attention à l'heure, ce soir. Vous descendez à quel arrêt ?

- Je vais aux Arrêtes.

- Vous logez dans ce quartier ?

- Oui.

- Je ne vous ai jamais rencontré, avant. J'y habite aussi.

- Je viens d'emménager à la Chaux-de-Fonds. Je suis arrivée il y a à peine deux semaines.

- C'était donc ça. Je m'appelle Alan.

- Moi, c'est Miranda. »

Ils continuèrent de faire la conversation durant le trajet qui devait les mener jusqu'à leur domicile, faisant connaissance. Arrivée à destination, Miranda demanda son numéro de téléphone à Alan, précisant qu'elle ne connaissait personne dans cette ville et qu'elle ne supporterait pas de rester seule trop longtemps.

Les jours suivants, Alan poursuivit ses heures supplémentaires. Son patron était censé rester encore environ une semaine à l'étranger. Il avait quelques contrats à faire signer par des clients japonais, chinois et thaïlandais. De ce fait, il était de son devoir de rester quelques jours avec chacun de ces clients. Alan se réjouissait que son chef revienne au pays. Rester aussi tard au bureau durant une si longue période était agaçant et fatiguant. Il ne savait presque plus rien de l'actualité car il n'avait plus le temps ni de lire les journaux, ni de regarder le journal télévisé. Soir après soir, quand il allumait son petit écran, le film avait déjà commencé et, souvent, il n'arrivait pas à reprendre le fil de l'histoire. Il hésita plusieurs fois à passer voir Miranda mais ne parvenait jamais à passer le pas de la porte de son appartement. Il l'avait tout de même revue dans le bus quelques fois depuis leur première rencontre, une semaine plus tôt, mais n'avait pas encore réussi à lui proposer de l'accompagner pour boire un café. Il l'aimait bien. Elle était encore jeune, bien qu'elle semblât connaître beaucoup de choses et, de plus, ce qui ne dérangeait pas Alan, elle était absolument charmante sous tous les points. Il était séduit et n'aurait eu aucune hésitation à commencer une relation plus sérieuse avec elle. Son principal ennui était qu'il ne connaissait que très peu de choses sur sa vie. Ce soir-là, par contre, elle n'était pas dans le bus. C'était la première fois qu'il ne la voyait pas depuis qu'il avait fait sa connaissance. Il ne s'en pénalisa pas, se disant qu'elle était libre d'aller où elle voulait et quand elle voulait.

Au cours d'un clair de luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant