Et puis, forcément, ce qui est plus important a un effet encore plus fort. L'amour, par exemple. Depuis plusieurs mois, je ressens ces fameux papillons à l'intérieur de mon estomac, comme s'ils étaient bien présents tellement je ressens les fourmillements qu'ils procurent. Depuis que j'ai rencontré Liz, mon attention est totalement tournée vers elle. Elle hante totalement mes pensées.

Me voilà arrivé à l'entrée du parc. Elle est là. Tout ce que je ressens pour elle ressort soudainement. C'est toujours la même chose quand je la vois. Elle a le don de me retourner complètement, simplement par sa présence. Elle est assise sur le banc, là-haut. Sous un arbre qui la protège de la chaleur du soleil. Elle a le regard perdu. Elle semble absente, dans ses pensées.

Mais où est-elle lorsqu'elle est seule ? À quoi pense t-elle ? Que ressent t-elle vraiment lorsqu'elle n'affiche pas ce sourire quasi-permanent ?

Je m'arrête un instant. Devant l'immense porte du parc. Et je l'observe. Ce n'est pas du voyeurisme, mais j'ai envie de la voir lorsqu'elle est seule, naturelle, qu'elle n'est pas sous les regards. Sous le mien. J'ai l'impression d'entrer un peu plus en elle, dans son intimité. Je souris, bêtement. Heureusement qu'elle ne me voit pas.

Je décide enfin à m'approcher d'elle. Entrer dans son champ de vision. Elle me voit. Me sourit. Comme à son habitude. Et, une fois encore, je fonds. J'ai mal au ventre, c'est agréable. Mon cœur bat plus vite. Soudain, je nous imagine, elle et moi. Je nous vois ensemble, heureux, l'un auprès de l'autre. Enlacés. Amoureux.

Ces pensées me rendent fou de joie, pourtant je sais très bien que tout ça est impossible. Comment une fille peut s'arrêter sur un garçon comme moi ?

Je tente de chasser ses pensées négatives avant de la retrouver. Je m'assois sur le banc, à côté d'elle. Je sais que c'est le moment où nous devons poursuivre notre conversation commencée au téléphone il y a un petit quart d'heure. J'ai besoin d'avoir des réponses. Je dois savoir ce qu'elle pense. Je ne tiens plus.

« Salut toi, se lance t-elle, légèrement gênée.

- Salut, lui répond-je avec un petit sourire.

- Tu vas bien ?

- Ça va, oui. Mais j'irai encore mieux quand on aura parlé de... de tout ça, dis-je en baissant les yeux.

- Oui, je te sens tendu Matt. Tu sais, tu n'as pas à avoir peur de quoi que ce soit avec moi, me rassure t-elle.

- Euh... Oui, je sais. Enfin non, je ne sais pas, en réalité.

- Je ne suis pas de ceux qui abandonnent les gens parce qu'ils sont différents. Au contraire ! En général, je recherche ce caractère exceptionnel des choses. La diversité est ce qui rend la vie si géniale, me confie t-elle. Alors parle-moi Matt.

Elle a l'air si honnête. Pourtant, j'ai l'impression que je ne peux pas lui dire. Doit-on vraiment parler de ce genre de choses à la personne que l'on aime ? À celle que l'on souhaite séduire ? Je ne suis pas comme ces personnes qui veulent provoquer la pitié des autres. Je ne veux pas que l'on me regarde autrement. Comment réagira t-elle lorsque je me montrerai en tant que malade ? Verra t-elle toujours la personne qui se cache derrière l'hémophilie ?

« Je... j'ai été diagnostiqué hémophile à mes 6 ans. Ça a mis vraiment beaucoup de temps. J'ai été très protégé pendant que j'étais bébé et même enfant. Mes parents étaient toujours là pour m'éviter de faire des chutes. Alors, même s'il m'arrivait de saigner de temps en temps, ils se reprochaient pendant des jours de ne pas avoir su m'empêcher cette chute. Sauf qu'il n'y avait pas forcément de cause à ces saignements. Et puis, ce n'est que quand j'ai grandi, quand ils ont du me laisser un peu d'autonomie et que j'ai connu les bobos, qu'ils ont remarqué ces saignements. Cette maladie me rend, en quelque sorte, fragile au monde qui m'entoure.

- Pourquoi ?, me demande t-elle, tout innocemment.

- Mon sang ne coagule pas. Toi, si tu saignes, un bouchon va se former là où tu t'es ouverte. Pas chez moi. Contrairement à ce que l'on croit, un hémophile ne saigne pas plus que les autres au moment où il se blesse, mais le sang coulera par contre beaucoup plus longtemps.

- Et qu'est-ce qu'il se passe alors, dans ces cas-là ?

- Eh bien... tout dépend de la gravité de la maladie. Il y a plusieurs stades.

- Et toi, dans quel stade tu es ?

- Je... je suis au stade 3. Hémophilie sévère.

- Mais... c'est... c'est grave ?, s'inquiète alors Liz.

- En fait, contrairement aux autres stades, je peux saigner comme ça, n'importe quand. Même si je ne me blesse pas.

- Mais... c'est horrible !, s'exclame t-elle.

- Il y a quelques années, mon espérance de vie aurait été estimée à 63 ans. Mais bon, les temps ont changé et, aujourd'hui, les médecins nous proposent des solutions.

- Oh, c'est vrai ?, me répond t-elle doucement, soulagée.

- Oui. On m'injecte du sang qui contient ce qui me manque justement pour que mon sang coagule. Les transfusions sont très efficaces, même si c'est long et fatiguant à force, lui répondé-je, avec peine.

- Oui... j'imagine, me répond t-elle simplement. Mais comment tu fais pour vivre avec ça ? Comment tu as réagi quand tu l'as appris ?

- Au début de la maladie, j'ai eu terriblement peur. Enfin, non, au tout début, je ne comprenais pas vraiment de quoi il s'agissait. Ça a duré pendant presque un an. Puis, à l'école, j'ai été en contact plus fréquemment avec des personnes, avec le risque. C'est à ma première chute que j'ai réalisé que l'hémophilie est une maladie grave. C'était la fin de l'année scolaire, j'allais avoir 7 ans. Habituellement, j'étais un petit garçon calme et prudent de nature. Et ce jour-là, je devais être heureux d'être bientôt en vacances et je n'arrivais pas à contenir toute cette excitation. Alors, je courrai un peu partout. Je me prenais pour un coureur professionnel. Au bout d'une dizaine de minutes à m'épuiser, j'ai du perdre l'équilibre ou je ne sais pas vraiment ce qu'il s'est passé, mais je suis tombé. », dis-je avant que le silence s'installe entre nous.

Je suis totalement replongé dans cet événement qui m'a bien marqué et dont je me souviens encore parfaitement aujourd'hui.

« Eh, Matt, ça va ? », m'interrompt Liz en posant sa main sur la mienne, inquiète.

Mes yeux brillent, ma voix a tremblé légèrement à la fin de ma phrase. Je ne m'étais même pas rendu compte que l'émotion est en train de m'envahir totalement.

« Il faut croire que cet événement me touche toujours autant qu'à l'époque, poursuis-je. 10 ans se sont pourtant écoulé depuis. Mais rien n'y fait. Cet événement a marqué le début d'une autre vie. C'est à partir de ce jour que j'ai compris la dureté de la vie. J'ai vraiment réalisé que, si tout le monde va mourir, pour moi, ce sera peut-être bien plus tôt que les autres.

- C'est horrible Matt.

- Cette prise de conscience a vraiment été terrible. Je n'étais qu'un enfant. Je n'avais pas les ressources nécessaires pour faire face.

- Et aujourd'hui, est-ce que le grand Matt a ce qu'il faut là-dedans pour supporter ?, me demande Liz en posant ses deux mains sur mon torse, au niveau de mon cœur.

- Aujourd'hui, les choses sont différentes. Même si, au fond de moi, cette peur est toujours là, pas loin, elle est sans doute moins envahissante. Disons que j'ai réussi à la repousser. Maintenant, au contraire, j'ai ce besoin urgent de vivre, de me sentir vivant. C'est fou, quand-même », dis-je pensif.

Mes pensées ont été arrêtées par le mouvement brusque et soudain de Liz : elle s'est jetée dans mes bras, avec tellement de force, comme si sa vie en dépendait.

En attendant, je vis [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant