En parler

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15 juillet 1987.

J'avais prévu d'attendre, avec Liz. La laisser venir pour ne pas la presser. À vrai dire, je ne sais pas ce que j'étais censé faire. Et puis, hier, avec Peter, nous avons parlé de Sara. Il m'a expliqué qu'elle l'avait quitté parce qu'il ne prenait pas assez d'initiative et qu'elle avait l'impression d'être la seule à s'investir dans la relation et la seule à faire en sorte que leur couple fonctionne. Pendant qu'il me narrait la conversation qu'il avait eue avec Sara, je l'ai senti extrêmement triste. Désolé. Coupable. Après s'être livré, il m'a dit : « Mec, le jour où tu rencontres l'amour, ne fais pas la même connerie que moi. Ne fais pas le con. Garde en tête qu'elle peut partir n'importe quand. »

Aujourd'hui, je devais prendre les choses en main. Je ne veux pas la perdre.

« Liz, c'est Matt, dis-je lorsqu'une voix féminine s'est faite entendre après les bip du téléphone.

- Non, c'est sa mère. Attendez, je vous la passe, me répond la femme.

- Matt, c'est toi ?, demande t-elle comme si elle attendait mon appel.

- Oui. Je ne te dérange pas ?

- Pas du tout. Je comptais t'appeler d'ailleurs. Mais je ne savais pas trop où tu en étais », me répond t-elle.

Où j'en suis ? Mais de quoi veut-elle parler ?

« Depuis que tu m'as parlé de ta maladie, ajoute t-elle enfin, comme si elle savait que je ne comprenais pas.

- Euh... Et toi, comment tu prends ça ?, lui demandé-je en ne tenant pas compte de sa question.

- Tu n'as quand-même pas peur que je te vois différemment ?, m'interroge t-elle.

- Ce n'est pas que j'ai peur, mais...

- Matt ! Il est hors de question que tu t'imagines ça un seul instant ! Jamais je ne te rejetterai parce que tu es malade.

- Mais..., essayé-je de répondre.

- Laisse moi finir, Matt, s'il te plait. J'ai besoin de te dire tout ce que je ne t'ai pas dit l'autre soir, rétorque t-elle, extrêmement sérieuse.

- Liz, ça te dirait que l'on se voit pour en parler de vive voix ?, lui demandé-je, spontanément.

- Oh... Oui, tu as raison. On se rejoint à l'entrée du parc ?

- Parfait. J'y serai dans une dizaine de minutes.

- À toute à l'heure, Matt. »

Ce coup de téléphone était très étrange. J'ai senti Liz très concernée, comme si elle voulait que l'on discute réellement de ma maladie. Pour rattraper le silence qui s'est imposé l'autre soir. Après lui avoir avoué que j'étais hémophile, Liz n'a rien répondu. Avait-elle peur ? Croyait-elle que c'était contagieux ? Avait-elle mal pour moi ? Aujourd'hui, je comprends enfin son silence. Elle s'est tue par pudeur. Elle voulait sans doute respecter mon intimité, ne pas bousculer les choses.

*

Aujourd'hui, le soleil est au rendez-vous, ce qui rend mon humeur plus joyeuse. En fait, j'ai toujours été très réceptif à tout ce qui m'entoure. Karen dit souvent de moi que je suis un vraie « fille qui se vexe pour un rien ». Mais je ne suis pas vexé, c'est simplement que certaines choses qui semblent insignifiantes pour les autres m'atteignent parfois beaucoup trop.

Au fil du temps, j'ai compris que j'étais simplement un mec sensible. Mais voilà, « mec sensible » sonne comme un oxymore, dans notre société : ces deux termes font mauvais ménage ! Inconsciemment, j'ai sans doute toujours cherché à cacher cette sensibilité pourtant bien présente à l'intérieur de moi. J'ai tenté de l'effacer, la gommer. Dans ma famille, on ne partage pas vraiment ce que l'on ressent. Mon père est sûrement beaucoup trop pudique pour ça et on dirait que ma mère s'en fiche royalement.

En attendant, je vis [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant