2-Il y a plus de gamins rêvant d'extorquer le contribuable qu'on le penserait

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— Voilà, dit Sian en déposant devant Elson une pile de classeurs. Normalement, tout est là.

Il s'est installé à la même table que la veille, et écarquille les yeux quand le tas de document la fait trembler. Il s'accroche à son double expresso tandis que Sian explique :

— Les années sont marquées sur les classeurs. Les verts c'est la compta, les rouges la TVA, les bleus les relevés bancaires. J'ai aussi tout copié et rangé sur ce disque dur externe, dans des dossiers par année, puis par mois.

— Et... celui-là, c'est quoi ?

Du bout du doigt, sans oser le toucher, il désigne, tout en bas de la pile, un classeur noir d'où dépassent de nombreuses feuilles volantes et froissées.

— Ah, ça ! C'est les deux premiers mois de l'entreprise. Quand Thom faisait sa compta lui-même – c'est-à-dire qu'il entassait tous les papiers en vrac dans un même classeur, sans prendre le temps de les lire. Normalement, j'ai tout reporté dans les autres classeurs, mais bon...

Contemplant le travail qui l'attend, Elson soupire et prend une gorgée de café. Il est fort, amer, mais avec cet arrière-goût de caramel laissé par le sucre, et pose sur sa langue un voile âpre ; exactement comme il l'aime.

— Je dois aller en cours, ajoute Sian en lui tendant un post-it. Si besoin, appelez ou envoyez un email.

Le papier colle au bout de son index lorsqu'il l'attrape. Elle désigne du pouce, derrière son épaule, son frère qui remplit les frigos.

— Pas la peine de lui demander quoi que ce soit à lui si ça ne concerne pas la cuisine, il saura pas répondre.

Elle se penche vers lui et chuchote, assez fort pour que Thom l'entende :

— Il est un peu inutile, en fait.

— Eh ! s'exclame-t-il derrière son comptoir. Je peux arrêter les blanc-amande pendant un mois.

Elle lui jette un coup d'œil et un sourire en coin par-dessus son épaule.

— T'en serais pas capable.

— Essaye et tu verras.

Elle secoue la tête, agitant le caramel liquide de ses boucles, et se tourne à nouveau vers Elson.

— Enfin, courage, conclut-elle en lui posant brièvement la main sur l'épaule.

Et puis elle est partie, et il se retrouve seul avec les classeurs, le café, et Thom qui chantonnee sur les mélodies énergiques des Who tout en arrangeant ses étals. Elson passe la main sur le premier classeur de la pile – un bleu – et porte à nouveau la tasse à ses lèvres. La chaleur du café imprègne encore la porcelaine, il n'a même pas commencé sa journée et déjà il se sent épuisé. C'était une mauvaise idée de choisir ce dossier, il a un affreux pressentiment. Et ça ne s'arrange pas quand, toujours derrière son comptoir, Thom déclare :

— Elle a raison, vous savez : en dehors des chocolats, je suis un peu inutile.

*

Elson ne relève le nez de ses classeurs que quand une assiette s'abat devant lui.

— Tenez, Thom a eu pitié de vous, lui lance Sacha tout en s'asseyant à côté de lui avant de mordre dans un sandwich.

Elson cligne des yeux et, soulevant sa manche, regarde sa montre. Ah oui, déjà 13h45. Il n'a pas vu le temps passer.

Après son deuxième café, il s'est plongé avec appréhension dans les classeurs, mais s'est rendu compte assez rapidement que tout semble plutôt bien tenu. Il y a du travail, certes, mais c'est un travail qu'il connaît. Alors il a sorti sa calculette, son calepin et son iPad, il s'est coupé du monde et il s'est mis au travail.

Fisc, Crimes et Chocolat [TERMINÉE]Where stories live. Discover now