Chapitre 1 - Je fais juste des chocolats, vous savez

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Fouettées par un vent fou, les branches des marronniers laissent tomber leurs feuilles roussies sur la vitrine. Thom l'a voulue épurée, uniquement ornée du mot CHOCOLATS écrit en capitales sans empattements. À la vitre est collée une tablette en bois qui fait office de bar, avec ses trois tabourets disparates.

Il faut pousser la porte sur la droite pour véritablement rentrer dans l'univers de la boutique. Là, la première chose qui saute aux sens, c'est l'odeur : chaude, intense, veloutée ; on a l'impression de l'avoir sur la langue. Si on a le nez fin et selon les jours, on peut y ajouter du caramel, des épices, de la menthe ou des agrumes. Sans même avoir besoin d'ouvrir la bouche ni les yeux, on peut déjà deviner que l'inscription sur la vitre n'a pas menti.

Ensuite, il y a le bruit. Si le magasin est vide (c'est rarement le cas), il y aura un léger fond musical, qui peut aller d'une guitare saturée à une envolée lyrique, en passant par un harmonica sautillant ou un banjo endiablé. Par-dessus, éventuellement, une voix qui fredonne maladroitement ou quelques bols qui s'entrechoquent. Si la clientèle a envahi les lieux, la musique sera recouverte par le bavardage des uns, les cliquetis des cuillères sur les soucoupes, les tintements de la caisse enregistreuse et la voix de Thom, la plupart du temps feutrée comme du praliné, mais qui peut se relever d'une pointe de clémentine quand il s'enthousiasme particulièrement.

Si on ouvre les yeux, on le verra virevolter derrière ses deux vitrines réfrigérées qui forment un angle le long du mur de droite et de celui du fond. La caisse en marque le coin, et à partir d'elle s'étire en diagonale la file des clients, qui parfois dévie de son axe pour aller lécher l'une ou l'autre des vitrines. Dans celle de droite, la plus petite, se trouvent deux ou trois gâteaux, peut-être quatre le samedi et les jours de marché, et une poignée de cookies. C'est dans celle d'en face que s'alignent, dans des dégradés de brun et sur deux étages, les chocolats annoncés à l'extérieur.

Noir, blanc, lait, praliné ; amande, noix, orange confite ; carré, rond, ovale, décoré d'une feuille ou d'un filet, d'une bosse ou juste lissé, les rangées semblent se suivre sans aucun ordre particulier, et pourtant les mains gantées de Thom s'y déplacent agilement alors qu'il remplit les boîtes en carton beige qui s'entassent sur une étagère derrière lui, en dessous de la chaine hifi.

Dans son dos, la porte qui donne sur la cuisine est parfois entrouverte, laissant apercevoir du mobilier métallique aseptisé, sans aucun rapport avec celui de la salle.

Car ici, si l'on regarde plus sur la gauche, le long de la vitre donnant sur la rue qui fait l'angle, on verra un ensemble de tables, de chaises et de fauteuils dépareillés, certains en bois, d'autres en formica, d'autres en tissu. Parfois, une écharde de bois s'enfonce dans un doigt maladroit, ou une main vient gratter une cuisse sous laquelle se sont glissées quelques miettes. Là, cette chaise brinquebale un peu quand on pose ses pieds sur le barreau ; ici, le tissu élimé jusqu'à la corde laisse apparaître la toile de jute et la sensation rêche qu'elle laisse sur les poignets ; et, plus loin, il faut éviter de trop s'appuyer sur le coin de la table, qui reste bancale en dépit des nombreuses tentatives pour la remettre de niveau.

Il n'y a que quatre tables, mais elles sont souvent occupées, que ce soit par une étudiante qui finit un devoir avec quelques cookies, un homme d'affaires qui déguste un chocolat noir avec son café ou un groupe d'amis qui, tablette à la main, avalent une part de gâteau en riant de photos de vacances.

Le fauteuil bas du fond, celui en velours rouge, est souvent occupé par un jeune homme à queue de cheval qui pose ses pieds sur la table basse et un ordinateur sur ses genoux, mais il n'est pas là aujourd'hui. Derrière lui s'ouvre la porte des toilettes, qui lui fait parfois froncer le nez quand elle laisse passer un usager qui n'a pas mangé que du chocolat. Il s'en est déjà plaint à Thom, qui lui a conseillé de changer de place, mais comme le fauteuil est le plus confortable, il a préféré endurer.

Fisc, Crimes et Chocolat [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant