Chapitre 1

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Anne avait bandé les yeux de Cendrine et riait. Les deux amies se connaissaient depuis le pensionnat, à Kervillais, mais depuis leur sortie de l'institut elles avait eu peu de temps pour se voir. 

- Une surprise, encore ?, dit Cendrine. Tu es vraiment une enfant.

- Allez, sois patiente !, s'exclama Anne. Tu devrais corriger ton français, par contre. A ton accent lorrain s'ajoute désormais un accent anglais que tu as contracté durant notre séjour à Londres.

- Est-ce ma faute ?, se défendit Cendrine.

Anne répondit par un petit rire. Bientôt, elles entrèrent dans un petit hôtel confortable et Anne retira le bandeau de Cendrine qui put alors voir. Elle regarda alentour et vit Louis-Henri et Werther qui la saluèrent. Celle-ci sourit et s'inclina.

- Je vous souhaite le bonjour, dit-elle avec un raffinement auquel n'étaient pas habitués les jeunes hommes.

Louis-Henri était déconcerté : la jeune femme autrefois rebelle avait les cheveux parfaitement en ordre, une robe rouge impeccable et portait même des gants en dentelle. Werther aussi semblait étonné.

- Ne réagissez pas comme ça, messieurs, fit Anne avec douceur. Je vous avais pourtant prévenu : notre sauvageonne est devenue une élégante jeune femme.

- Je vois ça, répondit Louis-Henri qui avait retrouvé la parole. Heureux de constater que tu es désormais en pleine forme, Cendrine.  

La blonde perdit son sourire. En effet, avant de partir pour l'Angleterre, elle s'était éprise d'un certain Jean Lanvais avec qui elle s'était fiancée. Le jour de leur mariage, il l'avait délaissée pour épouser sa demi-soeur, Antoinette. C'était le 19 septembre 1870, jour où avaient également eu lieu de nombreuses émeutes en raison de la proclamation de la IIIème République. En sortant de la mairie, encore assommée par les événements, Cendrine n'avait pas prêté attention à la foule en colère et s'était prise une balle perdue. Elle avait survécu avec beaucoup de chances et avait peu après suivit sa maîtresse en Angleterre. 

- Cendrine ? Tout va bien ?, demanda Werther. 

La jeune femme reprit ses esprits.

- Oui, oui, répondit-elle.

- Ne vous inquiétez pas, cela arrive fréquemment à Cendrine, expliqua Anne.

- Tu parle de moi comme si j'étais fragile, remarqua la blonde. Je vais parfaitement bien.

Anne parut mal à l'aise. Son amie avait beaucoup changé. Bien ou mal, elle n'aurait su le dire.elle s'inquiétait de la santé mentale de Cendrine, car bien que celle-ci prétendait s'être remise de son échec amoureux, Anne était persuadée du contraire et le comportement de Cendrine se laissait aller tantôt à l'indifférence la plus glaciale, tantôt à une passion fiévreuse. Sans compter les cauchemars.

- Tu n'as pas à me préserver, ajouta Cendrine. Je suis tout à fait saine d'esprit.

- Bien sûr, nous n'en doutons pas, lui dit Louis-Henri.

Le pauvre, songea Anne. Lui qui aimait si tendrement Cendrine allait avoir un choc. Sans jamais avoir été mise dans la confession, la bretonne se doutait bien de la nature des sentiments du jeune homme envers sa demi-soeur. Cela ne la dérangeait pas : ils n'avaient pas de réels liens de sang. Au contraire, Anne aurait préféré que Cendrine aimât Louis-Henri plutôt que Jean Lanvais. Mais elle ne pouvait rien dire. Cela regardait Cendrine, et Cendrine seule.

- Nous avons une autre surprise pour toi, Cendrine, annonça fièrement Werther.

- Laquelle ?

- Louis-Henri et Werther vivront avec nous dans ce charmant hôtel, s'exclama Anne avec un enthousiasme feint.

Cendrine ne cacha pas sa surprise. Cependant, contrairement à autrefois où elle aurait sauté de joie, la jeune femme se contenta d'un maigre sourire. Cela suffisait à Louis-Henri, mais elle lui parut si fatiguée, ses joues se creusant déjà à l'âge de 19 ans. Elle avait pâlit de surcroît. Louis-Henri enlaça Cendrine. Comme elle avait changé ! Comme elle lui avait manqué !

- Je suis vraiment heureux de te savoir bien portante !, murmura-t-il.

Et pour cause : lorsque Cendrine avait prit la balle et perdu connaissance dans ses bras, Louis-Henri avait vraiment cru la perdre. Il avait connu la pire peur de sa vie. Il s'était alors souvenu... La première fois qu'il l'avait vue, alors âgé de huit ans, elle l'avait tout de suite impressionné par son regard. Un regard où brillait une telle flamme...toute la force de Cendrine résidait dans ce regard. Il l'avait ensuite provoquée à plusieurs reprises, seul moyen qu'il avait trouvé pour attirer son attention sans trahir son affection. Quand elle avait, à quinze ans, prévenu son père et Clarysse qu'elle ne viendrait plus au manoir, , tout sembla s'effondrer pour Louis-Henri. En effet, ce qui rendait la vie au manoir supportable, c'étaient les visites de Cendrine.  Alors, âgé de 17 ans, il s'était envolé pour Paris où pour survivre il multipliait les conquêtes sans toutefois oublier sa belle sauvageonne. Les faux espoirs qu'il donnait à ses proies avaient attiré des ennemis à Cendrine, ce dont Louis-Henri se mordait les doigts. Il se voulait encore plus de ne pas avoir protégé Cendrine de Lanvais. C'était la raison pour laquelle il avait décidé ne plus quitter Cendrine, afin de veiller sur elle. Louis-Henri s'écarta à contre-coeur de la blonde.

- Louis-Henri ne cessait de demander de tes nouvelles dans chacune de ses lettres... Et il y en a !, s'exclama Anne.

- Vraiment ?, dit Cendrine, sourcil levé.

- Eh bien...c'est à dire que..., commença le jeune homme, embarrassé.

- Vous n'avez pas à vous justifier, le coupa la bretonne. Vous vous souciez de la dame de vos pensées ce qui est tout à fait normal. C'est une attitude on ne peut plus respectable, digne d'un gentleman.

- Dame de tes pensées ?, répéta Cendrine en se tournant vers son demi-frère. Tu devrais te trouver une fiancée, ainsi tu verrais que je ne suis pas faite pour toi.

Anne sourit, et dit :

- Voyons, Cendrine, il ne peut pas : il est tel Heathliff dans les Hauts de Hurlevent, et tu es sa Catherine. S'il prenait pour femme quelqu'un qu'il n'aime pas, il deviendrait violent et cruel.

- Heathcliff a tué Catherine, fit remarquer la blonde avec un froncement de sourcils.

- Non point, et cela prouve que tu ne sais pas lire entre les lignes, contesta Anne. Ce sont les mauvais choix de Cathy qui l'ont condamnée, elle et Heathcliff par la même occasion. 

Cendrine croisa les bras.

- Charmant destin auquel tu me prépare, dit-elle. J'espère seulement que ce n'est pas une leçon de morale dissimulée. Quoiqu'il en soit, ton exemple est mal choisi : Cathy et Heathcliff sont des âmes soeurs, ils sont faits l'un pour l'autre ce qui n'est pas le cas de Louis-Henri et moi, de plus, contrairement à eux, nous ne sommes pas amants, ne l'avons jamais été et nous ne le seront jamais.

La conversation tourna bientôt court car Cendrine, exténuée, alla se reposer dans chambre. Quant aux autres, ils allèrent discuter tranquillement dans le salon.  

Cendrillon 2Where stories live. Discover now