La mission

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   Au fin fond de l'Enfer, un cours avait lieu. La leçon du jour consistait à expliquer aux nouveaux arrivants, leur rôle d'acheteur d'âmes. Le professeur indiqua également que lors des missions, il fallait se méfier de ces personnes que le Paradis appelait Âmes blanches.

- A quoi reconnait-on une Âme blanche ? demanda Violine, l'une des élèves.

- Très bonne question, Violine, dit le professeur. Peu importe leur sexe, leurs cheveux sont blonds et il y a deux émeraudes à la place de leurs yeux.

- Ils ont les yeux en forme d'émeraude ? demanda naïvement Grégoire, un autre élève.

- Bien sûr que non ! répondit le professeur d'un ton agacé. Ils en ont juste la couleur ! Tu n'es pas très futé pour un ancien humain, ajouta-t-il.

   Grégoire baissa la tête, et le cours se termina. Alors qu'il volait près des appartements des aînés, le jeune homme se fit apostropher par Prune, la démone ayant été désignée pour l'encadrer. Ce jour-ci, elle était vêtue d'une robe violet foncé et de sandales noires. Ces longs cheveux noirs étaient libres, et ses paupières maquillées de violet clair faisaient ressortir la couleur lavande de ses prunelles. Elle déploya ses grandes ailes grises, et se dirigea vers lui.

- J'ai un message pour toi, de la part de Lucifer, lui dit-elle en lui tendant un parchemin entouré d'un ruban noir. (Elle se posa, ensuite.)

- Ah... dit Grégoire. Merci Prune...

Il déroula le message, et le lut. Lucifer l'invitait, lui et Prune, à le rejoindre dans ses appartements. Quand il eut fini sa lecture, il remarqua que Prune semblait curieuse de savoir ce que le roi des démons lui voulait.

- Il veut que je le rejoigne dans ses appartements, répondit-il simplement.

- Tu es invité par Lucifer en personne, et c'est tout ce que ça te fait ? s'étonna Prune. Il n'est pas courant pour un jeune démon de le voir, même moi je ne l'ai vu qu'une fois dans ma vie.

- C'est sans doute une convocation pour parler de ma future carrière d'acheteur d'âmes, ironisa Grégoire. Très peu pour moi ! ajouta-t-il en reprenant son envol pour s'éloigner.

- Mais c'est ton destin d'en devenir un, lui dit Prune en le rattrapant.

- Non ! objecta Grégoire. C'est celui du démon que je suis devenu, pas le mien ! Tu crois que j'ai choisi de me retrouver ici et de me faire encadrer par celle qui a causé ma perte ?

Prune se mordit la lèvre inférieure à ce souvenir. Le jeune mortel qu'était Grégoire lui avait vendu son âme pour une bonne cause, et avait perdu la vie lors d'un accident de voiture. Or, l'accident ne lui aurait pas été fatal s'il avait gardé son âme.

- J'étais présente à ce moment-là, lui dit-elle. Si j'avais pu empêcher ça, je l'aurai fait, crois-moi.

- Pourquoi ne pas l'avoir fait, alors ? lui demanda Grégoire un peu brusquement.

- Je ne pouvais pas, tu comprends ? répondit Prune, les larmes aux yeux. Nous, les démons ne pouvons empêcher la mort à moins qu'un proche de la future victime nous vende son âme pour la sauver ! Tu sais, j'ai vendu la mienne pour la même raison que toi, et quand j'ai assisté à ta mort, j'ai eu l'impression de t'avoir trahi !

Elle sortit un mouchoir de sa poche, et se tamponna les yeux en allant s'asseoir sur le balcon de son appartement. Grégoire eut un peu honte car Prune s'était toujours montrée patiente et gentille avec lui.

- Pardon, s'excusa-t-il en la rejoignant sur le balcon, je n'aurais pas dû m'énerver contre toi.

- Ce n'est rien, il fallait que ça sorte, lui dit Prune en souriant.

- Il faut aller se préparer vu que nous sommes attendus, se souvint Grégoire.

- Nous ? répéta Prune.

- J'ai oublié de te dire qu'il voulait te voir, toi aussi, indiqua Grégoire.

A cette révélation, Prune l'attrapa par le poignet, ouvrit la fenêtre, et l'entraina à l'intérieur. Là, elle prit un paquet posé sur la table de sa suite, et le mit dans les mains du jeune homme.

- Tiens, cadeau ! lui dit-elle en le poussant derrière son paravent.

- Mais qu'est-ce que c'est ? l'interrogea Grégoire.

- Il te faut être présentable, répondit Prune en partant s'enfermer dans sa salle de bain.

    Dès que la porte se referma, Grégoire ouvrit le paquet, et en sortit un élégant costume noir qu'il s'empressa d'enfiler. En sortant de derrière le paravent, il remarqua un cadre rectangulaire renfermant un portrait de Prune. Celle-ci portait une robe prune, d'époque sans doute, ses longs cheveux, remontés en chignon, et lisait un livre. Au même moment, Prune sortit de la salle de bain, vêtue et coiffée comme sur le portrait.

- Dis Prune, comment était ta vie sur Terre ? lui demanda-t-il.

- On ne peut plus paisible, répondit Prune. Du moins, jusqu'à ma mort.

- C'était quand ? voulut savoir Grégoire.

- En 1865... murmura Prune.

- A quel mal as-tu succombé ?

Prune soupira, et se perdit dans ses souvenirs.

- Quand j'étais vivante, je m'appelais Prune de Boisjoli. Ma mère m'avait appelée ainsi car elle adorait les prunes. J'étais issue de la bourgeoisie normande sous le Second empire... Mon père est mort au front...

- Tu avais des frères et sœurs ?

- Oui, un petit frère, Just. Je l'ai perdu lors du naufrage d'un bateau nous ramenant de l'Amérique où nous étions partis en vacances, quand il avait dix-huit ans. Quant au mal auquel j'ai succombé, c'était en soignant ma cousine, Hélène d'Anfry.


Vends-moi ton âmeWhere stories live. Discover now