Épilogue

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Harry était là, il avait toujours été là. Même après. Même après que je sois parti. Il est sur son skate, un peu bossu, avec des roues usées, mais il veut pas les changer. Parce qu'il s'y voit dedans, c'est stupide. Mais c'est Harry. Il arrive encore, avec cette allure d'indifférence, de fantôme. Comme si tout est effacé, oublié, qu'il n'y a plus que ça : l'absence.


Les pensées dans le vent, il les emporte très loin. Jusqu'à moi. Il pense toujours, que je le suis, le vent. Que je renverse les petites choses en un seul coup et défigure les belles fleurs. Il n'a peut-être pas tord.


Harry, quand il danse, il arrive à faire vivre ce qui l'entoure. Tout n'est plus moche et terne, parsemé de nuage gris de pluie, ça se transforme en un spectacle incroyable, un arc-en-ciel. Il est le roi, je crois, depuis mon départ. Depuis qu'il a compris, et que les autres aussi, l'ont vu. On le laisse passer, parce qu'il est beau, et doué. Mais une fois lancé, tout repart. Les rigolades, les chamailleries, les essaies loupés et les figures réussies. Sauf qu'Harry, lui, il fixe, comme chaque fois, le banc d'en face. Ce banc.


Il le regarde comme s'il me voyait encore, en train de l'admirer. Assis, avec le sourire et les yeux pétillant, rempli de souvenirs, et la distance qui disait tout. Ou peut-être pas. Mais nous, on comprenait. Alors on l'a écrit, pour que tout le monde le sache.


« On a existé ensemble, dans le vent et la poussière. »


Entre le soleil et la terre.


Pour la mer qui s'échouait et remportait, avec elle, de minuscules cailloux. Le son, régulier et berçant, des vagues perdus.


On voulait écrire, sur tout le bois, on voulait écrire toute une histoire. La nôtre, à travers la vie, pour se retrouver dans des futilités d'autrui. On avait toujours trouvé ça plus poétique. Alors, on avait vite choisi. Le vent. Et la poussière. Il répétait sans cesse qu'il était la saleté transparente qui volait dans les yeux. Qu'il piquait et emmerdait. Il l'était, ou pas, jusqu'à mon remue-ménage.


Harry n'a rien de changé, ni ses perles vertes ni sa douce chevelure. Juste peut-être le fond de son cœur, et de ses mots. Mais personne ne l'a remarqué.


Il a cherché un travail, parce qu'il en a marre d'errer, de chercher la lumière qui s'est éteinte. Maintenant, il est serveur dans le restaurant au bord de la marée. Il esquive les tables et les numéros, en récupérant et déposant des commandes. Parfois, il casse un verre, une assiette ou tombe des couverts. Souvent, ça se finit en course contre la montre, pour nettoyer et rembourser. Mais Harry, il pense à moi, en train de hurler sous la pluie, me moquant de la maladie qui s'abat, et il jette son tablier pour courir, pour perdre son haleine et sentir le vent contre sa peau.


Il se retrouve, au pied de l'arbre. Ils veulent l'abattre, effacer les derniers au revoirs. Il a promis, alors, de rester au plein milieu le jour fatidique. Mais en attendant, il s'agenouille devant, comme si c'était une tombe et qu'il faisait sa prière, le bon dieu l'entendra sûrement. Et il rigole, il crie de joie, il sent le bonheur glisser dans ses veines.


Harry, il croit être devenu fou, parce qu'il a aimé une personne disparue.

Two ghostsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant