35

1.4K 47 10
                                    

Je lui envoyai un texto. Sans détours, parce que ça ne m'apparaissait pas utile :

Tu veux baiser ?

J'utilisai son propre vocabulaire volontairement. C'était plus simple, ainsi. Inutile de parler de « soirées » ou d'utiliser des termes détournés. Loïc savait très bien ce que je voulais, et je savais très bien qu'il attendait la même chose que moi. Aucun de nous deux n'avait assez d'intérêt envers l'autre pour avoir d'autres attentes et puis, au-delà de tout ça, c'était aussi une manière pour moi de cloisonner. De mettre en mots le fait que rien, dans notre relation, ne méritait qu'on y mette plus de formes que ça.

Il mit quelques heures à me répondre.

Tu veux que je te baise ?

Je reconnus bien là son caractère supérieur : cette subtile reformulation qu'il faisait pour resituer les rôles de chacun. Ça ne me dérangeait pas. Je confirmai :

Oui.

Il me donna une heure, le soir. Ayme était à la maison. Moi, je travaillais à l'hôpital, mais je décidais de ne pas rentrer après ma journée de boulot et puis voilà.

J'envoyai quand même un SMS à Ayme. Ça me mit de nouveau face à mes contradictions : on n'était plus vraiment ensemble, ou dans cet entre-deux à la con faisant que je ne le savais plus, mais je le prévins quand même de mon absence. Je ne lui dis juste pas pourquoi.

Dans le fond, ça me fit mal, de ne pas le lui dire, parce que ça témoignait du fait qu'on avait même perdu ça : cette vérité, qui avait été si importante, pour moi. Le fait de ne jamais rien se cacher.

Que nous restait-il encore ?

Le fait qu'on se montre sans masque l'un à autre... Cette pureté dans image donnée, aussi douloureuse qu'elle soit.

Je traversai Lyon.

Les journées diminuaient à cette époque de l'année, alors je voyais les lumières de la ville s'allumer tandis que je marchais. Pétrie de solitude, je me noyais dans leur contemplation. J'écoutais le claquement de mes pas sur le bitume, sentais les gouttes d'eau effleurer mes chevilles, suivais du regard les liserés des lumières rouges et jaunes que les voitures et les lampadaires projetaient sur l'asphalte des rues détrempées par la pluie.

C'est curieux de voir comme certaines images vous restent, parfois. Ce qu'elles peuvent porter en elle. Le sens qu'elles conservent.

Quand j'arrivai chez Loïc, il était assis dans son canapé, une bière devant lui et une clope à la bouche – pas un joint, pour une fois –, et il m'accueillit direct avec un petit sourire en coin que je commençais à connaître, chez lui, et dont je devinai la signification. Ça voulait dire « tu n'as pas pu attendre plus longtemps, hein ? ». Je n'avais rien à y répondre.

Je m'assis à côté de lui sur le canapé.

Il posa sa clope dans le cendrier, passa la main derrière ma nuque, et m'attira à lui pour m'embrasser, de cette manière intrusive qui était lui et qui se manifestait de manière grandissante, avec moi. Je me laissai faire. Je pliai même un peu entre ses doigts, consciente de la manière dont mon corps se relâchait, offerte à ses gestes.

Il ne joua pas au jeu des faux-semblants. Il me dit direct :

– J'ai appelé Rastouille.

– Il viendra ?

Je m'étonnais moi-même de l'assurance que j'étais en train de prendre par rapport à cette situation, mais je ne le montrai pas.

Loïc hocha la tête.

– Tu préfères, non ?

Cette remarque me troubla, non pas seulement parce qu'elle montrait à quel point Loïc m'avait cernée, mais parce qu'elle témoignait d'une adaptation de sa part à mes attentes. Une action faite pour moi... Je ne sus qu'en penser. Que penser de ce qu'il me montrait de lui, alors.

Mon ton fut toutefois maîtrisé quand je reconnus :

– Oui.

Il me fixa silencieusement, comme s'il voulait vérifier la pertinence de son jugement, ou examiner d'autres choses encore... Voir en moi ce que je ne lui montrais pas. Je n'en restai que plus dans ma réserve.

Je ne crois pas avoir un jour vraiment compris Loïc, pas plus que lui ne doit l'avoir fait pour moi. Il a toujours été ainsi, en tout cas : distant, hautain, à la limite du mépris dans sa manière de me regarder et de me parler, et pourtant curieusement attentif sur d'autres plans.

Mais ceci n'a pas d'importance.

Ainsi sombre la chairOù les histoires vivent. Découvrez maintenant