Chapitre 3 : De l'autre côté du miroir

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Héra ~ Village d'Helia

Héra fut brusquement entraînée par Senra loin des combats. Malgré sa maigreur, elle avait une poigne d'acier et sa prise sur son bras lui faisait mal. Mais ce n'était rien comparé à la déchirure de sa séparation. Elle n'avait aucune idée de la façon dont elle pouvait régler pacifiquement ce conflit. La seule solution qui lui était venue à l'esprit était un échange. Ses compagnons trouveraient forcément le moyen de mener leur quête à bien. Elle en était convaincue. Elle avait confiance en eux. Et ils pouvaient encore communiquer par la pensée, si sa geôlière ne l'emmenait pas trop loin de l'endroit où ils se trouvaient.

Même si sa décision lui brisait le coeur, elle souhaitait voir à quoi ressemblait la vie au-delà de sa propre existence. Une vie d'habitants qui devaient perpétuellement lutter contre la pauvreté, les dévastations de l'hiver et les rudes étés qui asséchaient parfois les récoltes. La vie du Nord.

Depuis son enfance, elle n'avait jamais souffert d'un quelconque manque, hormis l'affection de véritables parents. Isidore avait toujours été là pour la protéger et lui avait appris à se débrouiller par elle-même lorsqu'elle serait confrontée à la nécessité de faire face seule à certains événements. Elle n'avait jamais eu à travailler pour gagner sa vie, puisque son statut de Protecteur d'Helia lui valait une rémunération du royaume. C'était une récompense pour le service qu'ils offraient au peuple.

Un brusque arrêt brisa le fil de ses pensées. Héra ouvrit des yeux surpris lorsqu'elle constata qu'ils étaient arrivés dans un petit village d'une pauvreté déconcertante. Elle n'avait pas réalisé qu'ils étaient déjà parvenus à destination. Son coeur se serra en remarquant les maisons délabrées, les toitures parfois à-demi manquantes, les vêtements abîmés séchant dans le vent glacé. Elle était consciente de cette réalité mais n'avait jamais accepté d'y faire face. Elle se retint de plaquer une main contre sa bouche en voyant un enfant émerger de l'une des habitations en riant. Ses côtes étaient visibles et même ses vêtements ne parvenaient pas à camoufler sa maigreur. La beauté de son sourire la subjugua. Jamais elle n'avait vu un tel paradoxe en une seule personne : une expression joyeuse dans une enveloppe de laideur.

– Zaran, dépêche-toi de rentrer, tu vas encore attraper froid, ordonna Senra.

Malgré son ton autoritaire, Héra y décela une tendresse qu'elle ne lui connaissait pas, bien qu'elle ne puisse se vanter de la connaître réellement.

– N'avez-vous pas de paille ou de terre pour protéger vos maisons du froid ? s'étonna la Princesse.

– Nous n'avons pas le luxe de disposer d'autant de ressources que vous, se justifia sa geôlière d'un ton cinglant.

Héra jugea plus prudent de ne pas répliquer. Senra la poussa sans ménagement dans l'une des habitations. Chose inutile car elle aurait de toute façon respecté ses volontés, comme conclu dans l'accord qu'elle avait proposé. Elle se retrouva dans une pièce exiguë dans laquelle flottait une odeur de maladie qui lui souleva le coeur. L'endroit était si sombre qu'elle ne distinguait pas clairement les murs ni le mobilier -bien qu'elle se doutât qu'il n'était pas abondant d'après les faibles richesses du peuple.

– J'espère que c'est à la hauteur de tes attentes. Princesse.

L'ironie perçait dans sa voix. Elle n'avait plus rien d'une « Princesse » désormais. Senra se pencha vers elle pour attacher ses liens.

– Je suppose qu'il est trop tard pour des excuses.

– Tu supposes bien.

L'Heliane la dévisagea avec mépris, puis se détourna.

– Tâche de te reposer. Demain sera une longue journée..., pour toi, du moins.

Sur ces mots, elle quitta les lieux. Héra prit place dans un coin de la pièce -aussi loin que ses chaînes le lui permettaient- et cala sa tête contre ses genoux pour réfléchir à sa situation. Tout s'était passé si vite que son esprit était embrumé. Cependant, une image continuait de la hanter : celle du garçon courant dehors. Son rire cristallin résonnait à ses oreilles comme s'il s'était trouvé près d'elle en ce moment-même. Elle fondit brusquement en larmes en regrettant son impuissance.

L'Odyssée des deux Mondes - T3 : Erinae Valendar [Sous contrat d'éditon]Where stories live. Discover now