Chapitre 2 : Intarissable rancune

Depuis le début
                                    

– Une famille... C'était aussi ton rêve, murmura-t-elle.

Pendant ce temps, les guerriers se préparaient à l'assaut. Il n'avaient pas le coeur à se battre, encore moins face à des gens démunis qui ne cherchaient à travers les combats qu'un moyen de délivrance. Leur acte de rébellion était seulement motivé par la lassitude des conditions de vie du peuple. La rancune de Senra n'avait fait qu'embraser cette révolte. Ils s'alliaient à elle sans réelle conviction. Tant qu'ils se battaient, ils se sentiraient utiles. Ce serait toujours moins vain que de rester chez eux à regarder leurs proches mourir de faim ou être vaincus par le froid d'un impitoyable hiver.

– Ne les tuez qu'en cas d'extrême nécessité, ordonna Aralgann. Trop de sang a déjà été versé.

– Nous sommes des protecteurs du peuple, pas des assassins, lui rappela froidement Sacha.

Ce à quoi le guerrier nomade choisit de ne pas répondre. Son amertume et sa colère étaient trop vives.

Les premiers chocs d'arme contre arme arrivèrent plus vite qu'ils ne l'avaient prévu. L'acharnement que certains mettaient dans leur offensive prit de court les guerriers. Malgré leur fragilité et l'odeur de maladie qui se dégageait de la plupart d'entre eux, ils n'hésitaient pas à combattre comme si leur vie en dépendait.

« Si j'avais accepté le trône de Zephiria, ces gens auraient dû se trouver sous ma protection. », songea Sacha en contrant les attaques de plusieurs paysans munis de haches et de bâtons de bois. Malgré l'air glacé, la sueur imprégnait son front et une ardente chaleur envahissait tout son corps. Il suffoquait. Même inspirer dans ce froid ne lui procurait aucun soulagement. Il jeta un coup d'oeil vers ses compagnons et fut surpris de voir les plus jeunes se battre avec une férocité qui ne leur ressemblait pas. Jamais dans leurs entraînements ils n'avaient mis autant de hargne qu'à l'instant présent. Son coeur s'alourdit lorsqu'il observa Arya combattre. Ses yeux lançaient des éclairs et son visage était déformé par la vengeance. Elle, plus que n'importe qui, avait des raisons de leur en vouloir. Ils lui avaient pris sa mère, son frère, et avec eux, tout espoir de bonheur. La soeur de Kirun n'avait plus rien de la petite fille démunie qu'ils avaient recueillie après la mise à mort de Prisha.

« Qu'ai-je fait d'eux...? »

Son esprit s'embrumait et son bras faiblissait à mesure qu'il portait ses coups. Il sentait en lui une force réprimée et comprit que ses principes l'empêchaient de combattre aussi aisément qu'il l'avait toujours fait. Tout en ce conflit le dégoûtait. Lorsqu'il reçut un coup de hache dans le dos -son assaillant l'avait pris par surprise- il n'eut même pas la volonté de répliquer. Une plainte grave s'échappa de sa gorge et mourut sur ses lèvres tandis qu'il basculait en avant sous l'effet de l'attaque. Si son armure ne l'avait pas protégé, plusieurs de ses os auraient été brisés. Sacha mit quelques temps à reprendre ses esprits. Il entendit son nom hélé et vit du coin de l'oeil Héra qui faisait fuir les paysans qui s'acharnaient sur lui.

– Relève-toi !

La vue de l'élue de son coeur lui redonna du courage. Rien n'effacerait jamais sa répulsion face à la situation, mais au moins, il avait quelqu'un qu'il pouvait se promettre de protéger. Son épée commença à porter ses coups de façon plus engagée. Les imaginer blesser ne serait-ce qu'une parcelle de sa peau à elle fit naître une nouvelle colère en lui. L'indignation brûlait dans son regard. Les mêmes étranges flammes dansaient dans ses prunelles noisette, comme à chaque fois qu'il était courroucé. Discrètes, mais bien présentes.

Il fut saisi d'horreur lorsque sa première victime tomba au sol. Il n'avait pas réalisé à quel point son coup était puissant. L'homme gémissait faiblement, ses yeux écarquillés cherchant désespérément un moyen de mettre fin à son supplice. Sacha se pencha vers lui, les yeux brouillés de larmes. À la pitié se mêla un irrépressible sentiment d'injustice. Le tumulte des combats, le bruit sec et métallique des armes entrechoquées, les cris de douleur ou de désespoir ; tout s'effaça. Il ne voyait plus que l'homme à qui il venait d'ôter la vie. Il n'était pas beaucoup plus âgé que lui ; une trentaine d'années tout au plus, bien que ses traits tirés lui en fassent paraître davantage. Sa poitrine se soulevait si faiblement que sa respiration en devenait presque imperceptible. Le guerrier déglutit avec difficulté en avisant la blessure au bras qu'il lui avait infligée. L'entaille était profonde et son sang se répandait trop vite pour qu'il puisse être sauvé. L'esprit de Sacha était dans une telle ébullition qu'il ne parvenait plus à réfléchir clairement. Il cherchait une façon de détourner l'attention du pauvre homme de sa souffrance. Il posa sa main libre sur la poitrine du blessé en se forçant à affronter son regard suppliant.

L'Odyssée des deux Mondes - T3 : Erinae Valendar [Sous contrat d'éditon]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant