quarante // dorian gray (1)

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— Vous avez bien raison, Marcucul.

Sur ce, elle se leva d'un bond de son fauteuil. Marcus, l'air interdit, répéta :

— Marcucul?

— Vous préférez Marquéquette? répliqua la femme, bien sérieuse.

Pendant qu'elle marchait vers la salle d'une démarche royale, comme si le théâtre lui appartenait, le jeune homme ne put s'empêcher de sourire. Ses proches lui infligeaient des surnoms bien loufoques depuis des années, et il y était habitué, mais il reconnaissait que la dramaturge venait de battre un record.

Il souriait encore comme un idiot quand les portes principales du théâtre s'ouvrirent et une voix familière — trop familière — retentit dans le hall d'entrée désert :

— Marcus?

Harry. En chair et en os. À quelques mètres de lui.

Il se retourna. Et sentit les battements de son cœur s'accélérer. Et la boule dans sa gorge, se dilater. Et la sueur, conquérir la paume de ses mains.

Il cessa de marcher de long en large pour observer l'autre homme qui venait d'entrer et qui lui aussi l'observait. Ils se dévisagèrent pendant quelques secondes — une éternité —, immobiles, leurs bouches entrouvertes mais muettes. L'un comme l'autre heureux, mais choqués de se retrouver enfin après tant de mois d'absence.  

Ce fut Marcus qui se ressaisit le premier. D'un signe de la tête, il invita l'autre homme à s'approcher de lui. Il lui sourit pour le rassurer : cette fois, il ferait l'effort d'écouter ce qu'il avait à lui dire. Pas comme l'autre fois, où il n'avait fait que l'insulter sans même essayer de comprendre ses raisons, fussent-elles égoïstes.

Évidemment, cela n'excusait en rien son accès de violence. À présent, il le savait et pour ça, il pouvait remercier Clara. Elle avait vite compris que son nouveau client se reprochait — à tort — la réaction disproportionnée de son compagnon lorsque leur discussion avait tourné au vinaigre. Son travail, dans un premier temps, avait donc consisté à corriger cette façon de penser, par ailleurs fréquente chez les victimes d'un quelconque traumatisme. Heureusement, elle y était parvenue.

Harry s'approcha de lui, le pas hésitant. Lui non plus, sans doute, n'arrivait à croire qu'ils puissent se retrouver, qui plus est à l'étranger, après qu'ils se soient quittés de la pire des façons. Il jouait d'une main avec le bout de son écharpe, l'autre enfouie dans la poche de son trench coat. Il n'osait pas le regarder en face, à l'image d'un enfant pris en faute.

— Je n'arrive pas à croire que tu sois vraiment là, murmura-t-il enfin.

Il détacha sa main de son écharpe et la leva vers l'épaule du jeune homme, comme pour s'assurer qu'il était bien là, près de lui. Mais il se rétracta à la dernière seconde, une grimace sur son visage encore plus fatigué qu'à l'habitude. Ses cernes étaient plus creux et sa peau, plus pâle, et Marcus se demanda à quand remontait la dernière fois que l'homme avait vu la lumière du jour.

Avec un sourire bienveillant, il désigna le petit fauteuil en cuir qui se trouvait près de lui, celui-là même dans lequel s'était carrée Béatrice, tout à l'heure.

— On s'assoit? Je pense qu'on y sera plus à l'aise pour discuter. 

Lui-même s'apprêtait à prendre place dans le fauteuil d'en face quand Harry secoua la tête. Avec lenteur, il articula :  

— Il y a un entracte à 21 h. Si on reste ici, les gens risquent de nous reconnaître et de nous dévisager... J'aimerais éviter cette situation, si ça ne te dérange pas.

— D'accord. Qu'est-ce que tu proposes?

Harry détourna le regard.

— J'avais pensé qu'on aurait pu aller à l'appartement de ma cousine. Je vis chez elle depuis deux ans. C'est petit, mais tranquille. On y aurait la paix pour discuter.

Marcus fronça les sourcils et baissa malgré le regard sur les mains de l'autre homme, qui ne cessaient de bouger, nerveuses. Des mains de boxeur, calleuses et robustes. Sans pitié. Ce fut au tour du jeune écrivain de détourner le regard. L'envie de rebrousser chemin lui traversa l'esprit. La peur lui nouait les tripes. Et si le vieil homme s'énervait face à sa décision? Et s'il tentait à nouveau de...

Non. Il ne pouvait pas lâcher la bride à son imagination fertile qui, dans ce cas-ci, le desservait plus qu'elle ne le servait. Si Clara le croyait capable d'affronter ses démons, il devait lui faire confiance. Qui plus est, il serait bête de parcourir près de 600 kilomètres pour au final se dégonfler à la dernière seconde.

— Je préférerais qu'on se parle dans un lieu public, déclara-t-il d'une voix ferme. Dans un café, par exemple. 

Il préférait éviter les bars; depuis qu'il suivait une thérapie, il faisait des efforts pour prendre soin de lui, tant mentalement que physiquement, et cela passait par sa consommation d'alcool. Car non seulement l'alcool lui bousillait le foie et la santé en général, mais il nuisait également aux effets escomptés de ses antidépresseurs. Marcus n'avait donc pas eu le choix d'adopter un mode de vie plus sain. 

Pendant les premières semaines de ce « traitement choc », il en avait bavé. Il avait même failli y renoncer tant la tentation de noyer ses idées noires, comme avant, le tenaillait.

Mais il y avait eu Douglas. Et ça avait fait toute la différence du monde. Son ami lui avait promis qu'il pouvait l'appeler à toute heure du jour ou de la nuit s'il sentait qu'il dérapait, et même s'il avait peut-être regretté de faire preuve de tant de gentillesse à son égard, après le troisième ou quatrième coup de fil passé aux petites heures de la nuit, jamais il ne s'était plaint. Jamais il ne l'avait laissé tomber. Sans Douglas à ses côtés, il n'y serait pas arrivé.

Harry plissa les yeux, l'air quelque peu mécontent que les choses ne se déroulent pas comme il l'avait prévu. Mais peut-être l'imagination de Marcus lui jouait-elle un tour. Peut-être essayait-il tout simplement de se souvenir si, oui ou non, il y avait un café sympa dans les environs où ils pourraient discuter en toute tranquillité.

Après un moment, il hocha la tête : oui, il y en avait un. Marcus se força à sourire pour se donner du courage.

— Très bien. Allons-y.

Et ils y allèrent.

🦇

Salut, salut! Ben non, je ne suis pas morte et je n'ai pas non plus abandonné cette histoire. À un chapitre de la fin, ce serait tout de même stupide de ma part...

Comme vous l'avez sans doute compris, le chapitre 40 est finalement plus long que prévu. Ça ne m'aurait pas dérangée de vous offrir une belle tartine de 5000 mots, sauf que ça fait une éternité que je ne n'ai pas updaté cette histoire et je trouve cruel de vous faire attendre plus longtemps 😟 Voilà pourquoi ce chapitre est scindé en deux. La deuxième partie arrive très bientôt, ne vous en faites pas!

Rimbaud et LolitaWhere stories live. Discover now