quarante // dorian gray (1)

Depuis le début
                                    

— Tout simplement que tout impatient qu'il est, il serait bête de baisser les bras. D'ailleurs, je suis persuadée qu'il le sait. Il m'a affirmé qu'il souhaitait tourner la page sur votre relation, mais il ne faut pas oublier qu'il est doué pour livrer des discours passionnés à la limite du tragique. Il ne faut pas, par conséquent, toujours le croire sur parole. 

Marcus s'arrêta de marcher, les sourcils froncés, la bouche tordue en une petite moue. Elle reprit, cette fois d'une voix plus douce :

— Faites-moi confiance, il viendra. Il vous attend depuis deux ans. Je ne suis pas stupide : la seule raison pour laquelle il a accepté d'écrire et de monter cette pièce avec moi, c'était dans le but d'attirer votre attention et de vous faire comprendre qu'il est désolé. Je ne suis pas en train d'affirmer que cela excuse ses paroles et ses gestes. Loin de là. Mais je pense qu'on a tous droit à une seconde chance. Non?

La dame, la tête haute, le défiait du regard, comme si elle s'apprêtait à contredire tout ce qu'il dirait. Ou à se lever, carrément, pour être nez à nez avec lui. Il faillit esquisser un sourire; son côté protecteur envers son cousin le touchait.

— Peut-être, concéda-t-il finalement, la voix hésitante. Seulement, je ne suis pas venu jusqu'ici pour lui annoncer que je veux reprendre notre relation là où on l'a laissée. Du moins, pas tout de suite. Je désire simplement m'expliquer avec lui sur... certaines choses. 

Il se tut. Si Béatrice n'était pas au courant de la supercherie des Origines du mal, il préférait se taire à ce propos. Deux ans plus tôt, peut-être aurait-il été tenté de tout lui révéler, par pur désir de vengeance. Mais à présent, à quoi bon? L'idée de salir le nom de Harry Quebert lui déplaisait. La colère qu'il avait ressentie en apprenant la vérité s'était, avec le temps, adoucie jusqu'à s'éteindre d'elle-même. Ne restait dans son sillage qu'une amertume vive et pointue.

Béatrice le regardait du coin de l'œil, l'index posé sur sa lèvre inférieure.

— Vous voulez vous expliquer avec lui? Et c'est tout? Vous voulez lui donner de faux espoirs, c'est cela?

— Non! Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit, protesta Marcus, les yeux ronds.

Il prit une grande respiration pour se calmer. La vieille avait une façon de jouer avec les mots qui l'irritait profondément. À l'entendre, Harry n'avait rien à se reprocher, il n'était qu'un innocent dans cette histoire.

Or, il n'y avait ni innocent, ni coupable. Il n'y avait que deux hommes au tempérament trop emporté, qui avaient traduit pour l'un sa jalousie et pour l'autre sa déception par de la rage. Car, au final, chacun avait blessé l'autre. Voilà pourquoi Marcus souhaitait revoir Harry. Pour qu'ils puissent enfin s'expliquer, voire se pardonner l'un l'autre, maintenant que de l'eau avait coulé sur les ponts.

— De toute façon, je ne vois pas trop en quoi ça vous concerne, ajouta-t-il d'une voix pincée.

Elle haussa les épaules, sans répondre. Il se remit à faire les cent pas sous son regard scrutateur. Si elle ne souhaitait pas alimenter la conversation, il ne ferait pas d'efforts dans ce sens.

De temps en temps, quelqu'un traversait le hall d'entrée et leur jetait au passage un drôle de regard. Les principaux concernés faisaient comme si de rien n'était.

— Ça vous dérangerait de vous asseoir? s'irrita soudainement Béatrice. Vous commencez à me stresser. Or, je ne suis pas une personne facilement stressée.

Sans s'arrêter de marcher, il lui répliqua :

— Rien ne vous empêche de retourner vous asseoir dans la salle.

Rimbaud et LolitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant