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Chapitre 4 : Joyeux anniversaire Milla

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Dès le lendemain matin, je téléphone au service de procréation médicalement assistée de l'hôpital régional et prends rendez-vous. Il y a cinq semaines de délai. Les cinq semaines les plus longues de ma vie.

Dans cinq semaines, ma vie changera. Peut-être.

***

Le huit mai, c'est mon anniversaire.

Pour la plupart des personnes, l'anniversaire est un jour de fête et de joie. Pas pour moi.

Enfant, je rêvais d'être née un jour normal, pas férié, un jour où j'irais à l'école, et où je serais la reine de la journée, au centre de l'attention. Quand un de mes camarades fêtait son anniversaire, nous chantions tous en chœur, et je regardais avec envie la maîtresse planter un bisou sur sa joue, parfois même, dans les petites classes, lui offrir un petit livre ou un bonbon.

Je me souviens d'une amie, quand nous avions sept ou huit ans, qui pouvait faire tout ce qu'elle souhaitait le jour de son anniversaire. Elle portait une petite couronne en papier sur la tête, revêtait un déguisement de princesse froufroutant et sa maman lui cuisinait ce qui lui faisait plaisir, frites au déjeuner, crêpes au dîner.

De mon côté, je devais me contenter d'un repas en famille, avec mes grands-parents pour toute distraction. Un gâteau au chocolat, réalisé par ma grand-mère, et quelques cadeaux bien sûr. Mais pas de chants, ni de guirlandes ou de ballons, pas de fête, pas de joie non plus.

J'ai grandi en redoutant ce jour qui ne m'apportait que déceptions. Puis, j'ai commencé à avoir l'âge où on ne grandit plus, mais où on vieillit et ça a été encore pire.

Cette année, mon anniversaire tombe un dimanche. Double peine.

Je fête donc mes vingt-neuf ans, sans tralala, sans enthousiasme. Je me dis que dans un an, j'en aurai trente et que la situation n'aura pas évolué. Je me sens lasse.

Au sempiternel repas de famille, chez ma mère, à midi, je mets le masque. Puis un dîner au resto, avec Fred, qui, me sentant triste ces derniers temps, m'organise gentiment une surprise. Au dessert, les jeunes viennent m'enlever pour m'emmener danser. Leur attention me touche et me fait vraiment plaisir. Je déteste ces bars bruyants où on danse en se poussant des coudes, mais la foule et la musique commerciale sont peut-être le remède dont j'ai besoin pour oublier durant quelques heures cette angoisse qui me colle à la peau.

Il est plus d'une heure quand je me couche, le réveil fera mal demain.

Je m'extirpe du lit à six heures quarante-cinq, jurant que c'est la dernière fois que je sors tard une veille de boulot. Je camoufle comme je peux mon teint terreux et mes yeux rouges, bois deux cafés et attrape avant de partir une bouteille de cidre pour boire à mon anniversaire au boulot, il y a des traditions auxquelles on ne déroge pas.

***

— Joyeux anniversaire Milla !

Nous levons nos gobelets en plastique et trinquons à mes « vingt-neuf ans plus un jour ». J'espère intérieurement qu'aucun collègue n'aura l'idée de me suggérer de procréer, vu mon âge qui avance, et heureusement, personne ne met les pieds dans le plat, probablement à cause du fiasco du mois dernier.

— Alors, qu'est-ce que tu as reçu cette année ? demande avidement Laurence qui adore, chaque année, découvrir les très beaux présents de Fred.

Je découvre mes oreilles en souriant et lui montre les jolies boucles hors de prix qui y pendent.

— Whaou ! Il ne s'est pas fichu de toi !

— Comme toujours, note Sandra.

— Oui, j'ai de la chance.

J'essaye de mettre un peu de conviction dans ma voix. Je croise le regard de Samuel sur mes bijoux, et me sens un peu gênée d'exhiber mes cadeaux de la sorte.

On boit ensuite un coup, je raconte ma soirée mouvementée, Patricia siffle « Ah, ces jeunes... » et on passe à la suite, repas, et vite, les cahiers à corriger.

Je passe déposer des copies dans ma classe quand Émilie me rejoint avec un petit paquet. C'est un joli sautoir, et une huile parfumée pour le corps. Je l'embrasse, émue.

Depuis son dernier cadeau, l'album des « Brigitte », elle est encore plus attentive à moi. Notre relation complice à l'école a pris un tour plus intime. Nous avons parlé, une fois, brièvement. Je lui ai simplement dit que nous essayions depuis longtemps d'avoir un enfant, que ça ne marchait pas, et que je le vivais mal. Elle est présente quand j'en ai besoin, quand la déception pointe le bout de son nez, et elle me remonte le moral d'un geste, d'un regard ou d'un mot.

Même si je ne me suis jamais épanchée sur le sujet, ça me soulage d'avoir quelqu'un dans la confidence, je me sens moins seule avec mon fardeau.

Un peu plus tard, juste avant la fin de la pause déjeuner, je suis seule à la photocopieuse quand Samuel arrive et attend silencieusement derrière moi. Je termine ma série de copies, puis m'écarte pour lui laisser la place, mais il s'approche doucement, se penche vers moi et m'embrasse délicatement sur la joue. C'est une caresse, si infime, que je ne suis même pas sûre que ses lèvres aient effleuré ma peau.

— Joyeux anniversaire Milla, murmure-t-il, avant de s'éloigner lentement, nous laissant, mon trouble et moi, derrière lui.

J'envoie valserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant