J'envoie valser

Chapitre 3 : Deux coups durs

Les jours s'écoulent rapidement. Comme chaque année, Lilou aura fait son lot de colères, Zachary pense maintenant à aller aux toilettes avant qu'il ne soit trop tard, et Jason sent toujours l'étable.

Déjà, c'est le mois d'avril, le printemps et les jours qui s'allongent. Dans un mois, je fêterai mon vingt-neuvième anniversaire, et cette échéance m'angoisse.

C'est en ce mois d'avril qu'ont eu lieu deux événements qui ont, je crois, donné le premier tournant à ma vie.

Un midi, après un énième échec, j'ai le cœur en vrac, et je dois plutôt bien donner le change, car Laurence, qui vient d'avoir un premier petit-fils, me demande innocemment :

— Et toi, Milla, toujours pas d'envie de bébé ? Ça fait un moment que t'es mariée quand même !

L'attaque me prend au ventre, me coupe le souffle.

Quand nous allons dans nos familles, j'ai l'habitude des plaintes de la mère de Fred qui veut enfin être grand-mère, des questions insidieuses de la mienne qui ne comprend pas nos choix de vie, sans savoir qu'il n'est en réalité pas question de choix. Mais l'école, c'est mon refuge, je m'y sens en sécurité. C'est la première fois que le sujet est abordé, je n'y suis pas préparée.

Après un moment de flottement, je réponds doucement :

— Non...

— Mais ne traîne pas trop quand même, l'horloge tourne.

— J'y penserai !

Mon ton est plus sec que je ne l'aurai voulu, mais elle m'agace et je n'ai ni l'envie, ni le courage de sortir les excuses habituelles.

Ma réponse laconique clôt la conversation et un certain malaise subsiste dans la pièce.

Le lendemain, je trouve dans ma classe un paquet cadeau, c'est un CD des « Brigitte », avec un mot d'Émilie.

« J'aime beaucoup la chanson n°7.

Avec toute mon amitié. »

Je retourne l'album. La chanson s'appelle « je veux un enfant ».

Pendant le trajet du retour, j'écoute la chanson en boucle, et laisse les larmes couler.

Je crois que je pleure autant de douleur que de gratitude. Émilie a compris, je vais pouvoir me confier, et à ce moment, je lâche toutes les années de silence qui me compressaient la poitrine. Ça fait mal, mais ça fait du bien.

***

Le coup de grâce m'est porté quelques jours plus tard par ma collègue Élodie. J'aurais dû me douter que ça allait arriver. Élodie est avant tout mère de famille et fière de l'être. Chaque jour, elle nous raconte les exploits de Mélina, qui sait presque lire en moyenne section, et de Mattéo, qui va sur le pot tout seul maintenant. Mais elle est gentille et attachante, alors je reçois ses anecdotes avec le sourire, et quand je m'en sens le courage, j'arrive même à lui poser des questions avec tout le détachement dont je suis capable.

Mais ce mercredi-là, alors que nous sommes réunis pour notre journée de solidarité, Élodie est tout sourire. « J'ai apporté le goûter ! » annonce-t-elle, les joues rouges. À la fin de la réunion, elle sort un énorme gâteau blanc à la crème d'une grosse boîte.

Number 3

Coming soon !

Je me joins aux embrassades, accolades et félicitations, rassure d'un mouvement de tête Emilie qui guette ma réaction d'un air inquiet, puis, tranquillement, je rassemble mes affaires et m'échappe.