La peinture verte

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Je m'appelle Joseph Fraubou, j'ai 11 ans et je suis en CM2. On me charrie beaucoup parce que j'ai certaines maladies qui me font me comporter différemment de ce qui est considéré comme normal : trouble de l'attention, trouble obsessionnel-compulsif, Asperger, et la liste continue. Autrefois, j'avais l'habitude de m'énerver en réponse aux taquineries, et je me suis bagarré à de multiples reprises. Mais désormais ce n'est plus si horrible que ça.

J'ai un talent artistique unique, je peux peindre avec une plus grande délicatesse que la plupart des enfants de mon âge. Mes amis et ma famille me font souvent les louanges de mon talent. J'aime choisir une seule couleur par toile, et la mélanger avec de la peinture noire et blanche afin d'ajouter différentes nuances à mes tableaux.

Au dernier semestre, comme chaque année, mon école a organisé une exposition d'art. Bien entendu, mon tableau bleu qui représentait mon meilleur ami (vous ne croiriez pas la difficulté que j'ai eue pour le faire poser, enfin bref) a remporté le concours en passant même dans les journaux locaux.

À l'exposition, il y avait un homme très étrange qui portait des lunettes de soleil. Il admirait mon tableau et m'a dit que j'avais un grand talent. Je ne me souviens pas mot pour mot de ce qu'il m'avait dit, parce que j'étais distrait et un peu dans la lune, mais finalement, il m'a invité à monter dans sa fourgonnette pour manger du gâteau. J'adore passionnément les gâteaux, encore aujourd'hui d'ailleurs, alors qui étais-je pour refuser cette offre ? Pour couronner le tout, mes parents étaient occupés à contempler les autres œuvres d'art, ils n'allaient donc pas remarquer mon escapade. J'ai donc décidé de le suivre.

Lorsque nous avons atteint sa fourgonnette, il m'a laissé entrer dedans et m'a annoncé que mon gâteau allait être prêt d'une minute à l'autre. Je n'en pouvais plus d'attendre.

Soudainement, il a verrouillé la portière. Je me suis donc dit qu'il se passait quelque chose de louche. Ça m'a mis un peu mal à l'aise. Mais, en un instant, alors qu'il semblait être sur le point de m'attraper, il a fondu en larmes.

« Non ! » a-t-il crié. « Je ne peux pas ! Pas encore une fois ! »

Il a pleuré pendant quelques instants, j'étais de moins en moins méfiant.

« Qu'est-ce qui ne va pas ? » lui ai-je demandé.

« Écoute petit... »
a-t-il commencé. « Je ne suis pas un type bien, en fait, je suis même un monstre. Tu es un artiste formidable, je ne veux pas détruire ta vie comme je l'ai fait avec beaucoup d'autres. »

Il a ouvert la portière, ce qui a révélé plusieurs cicatrices le long de son bras.

« Pars, fais quelque chose de ta vie dans ce monde cruel. »

Je suis alors parti, plus confus que jamais.

Quelques jours plus tard, j'ai revu cet homme. Il m'attendait à la sortie de l'école.

« Hé, jeune homme ? » m'a-t-il appelé.

Je me suis retourné et, sur le coup, je l'ai reconnu. Il tenait une boîte Tupperware avec un liquide vert à l'intérieur.

« Oui ? » ai-je répondu.

« J'ai décidé de me faire pardonner pour ce que j'ai failli te faire. Je veux t'aider en jouant un rôle dans ton beau travail, alors par pitié, prends cette peinture spéciale que j'ai fabriquée, utilise-la pour tes tableaux. »

J'ai alors pris la peinture qu'il me tendait. J'ai une nouvelle fois remarqué les cicatrices qu'il avait le long de son bras. Je ne savais pas pourquoi il en avait autant.

« Merci. » ai-je répondu, perplexe, avant de le quitter.

Eh bien, en fait, cette peinture avait quelque chose d'incroyable. Elle était magnifique, elle avait un air radieux sur le papier. Je peux bien le dire, ce n'était pas une peinture ordinaire : elle était plus liquide, presque comme du vernis, sentait l'iode, et était chaude au toucher. Au bout de plusieurs semaines, j'ai peint un nombre incalculable de tableaux avec cette peinture, en mettant des touches de noir et de blanc par-ci par-là. Avant que je ne le sache, j'étais à court de peinture. Mais d'une manière ou d'une autre, cet homme avait prédit que ça allait m'arriver, parce qu'il s'est ramené avec plus de peinture verte le jour suivant.

Au fur et à mesure des semaines, il me fournissait de plus en plus de peinture verte, et je continuais de faire de beaux tableaux. Jusqu'au jour où, peu de temps avant la prochaine exposition, il m'a dit qu'il partait et qu'il ne reviendrait pas.

« Où vas-tu ? » ai-je demandé avec tristesse, mon amitié pour lui s'étant renforcée.

« Eh bien, disons seulement que c'est un endroit où tu n'as jamais été, mais tu vas y aller un jour. J'espère t'y voir à ce moment. » a-t-il répondu.

« Tiens, prends ce dernier récipient. »
a-t-il ajouté en me tendant l'habituel liquide vert. « J'en donnerais bien plus mais je suis très affaibli. »

En effet, il était très pâle. Ces derniers temps, il l'avait été de plus en plus à chaque fois que je le voyais. Il a serré ma main après s'être avancé. Puis, je lui ai rendu sa poignée de main.

« Au revoir, mon ami, j'espère que je te reverrai un jour. »
a-t-il dit. Sur ce, il est parti dans son van, pour de bon.

Ainsi, j'ai travaillé dur sur ce dernier tableau, si dur que je ne m'étais même jamais autant concentré auparavant. Ça m'a pris une semaine entière pour le finir avant l'exposition. Mon tableau représentait le visage de cet homme avec cette fameuse peinture verte, bien entendu. Je m'étais assuré de conserver le moindre petit détail de son visage, ou au moins ce dont je me souvenais. Il était magnifique en vert.

J'ai emmené le portrait à l'exposition et je l'ai dévoilé aux élèves et aux parents. Ils paraissaient tous à la fois impressionnés et admiratifs.


-The Princeton Times

Un jeune garçon daltonien peint un magnifique portrait rouge d'un inconnu.

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