1 ● F-L-E-Y

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Comme chaque matin, mon corps se propulse instinctivement contre le réveil que Maman m'a gentiment offert il y a plus d'un an. Je n'ai pas le temps de mettre K.O. le petit objet assourdissant que Fley, mon «baby» berger australien pousse du bout de sa truffe, la porte entre-ouverte de ma chambre. Croisant le regard malicieux du petit chien, mon index se précipite contre le bouton rouge du réveil rouge, avant de se faire injustement gober par un agneau carnivore. Lorsque je réussis à faire ressortir mon doigt de la gueule de mon chiot et que je constate que le réveil n'est plus le seul à être rouge écrevisse, je me mets à rire. "Un jour, il finira par devenir une vrai knacki" je chuchote à moi-même en regardant mon index boursouflé. 

Quand j'étais plus petite, je rêvais d'accueillir un animal à la maison. Dans ma tête, tout était préparé. Après avoir étudié tous les théorèmes, écris sur papier tous les scénarios possibles et listé les réponses les plus pertinentes à la question "comment convaincre ses parents d'adopter un cheval ?", je suis passée à l'action, plus motivée que n'importe qui. Personne n'aurait pu être plus motivé que moi. Personne, notamment mon père. Je me suis alors adaptée à mon public et j'ai changé de stratagème. Mais rien à faire, il ne voulait pas non plus adopter de chien ! Quel borné ! Du haut de mes 6 ans, je ne comprenais pas pourquoi il ne coopérait pas. J'ai rassemblé toutes mes idées et essayé par tous les moyens de lui faire comprendre que j'étais prête à aller promener un chien et ça, même sous la pluie...! Je n'ai pas compris sa non coopération jusqu'à mes 16 ans. A 16 ans, j'ai accepté qu'adopter un animal, c'était un réel engagement et que les parents avaient un rôle à jouer dans cet investissement. A cette période, j'ai eu un peu mal à l'égo en m'avouant que malgré mes belles promesses, je n'aurais jamais pu m'occuper seule, que j'ai 6 ou 16 ans, d'un être vivant. Et mes plantes en décomposition qui empestaient la chambre en étaient la preuve vivante. Mais quand un samedi d'octobre, résignée à adopter des escargots du jardin, j'ai su que Papa ne voulait pas non plus accueillir d'escargot dans la maison, j'ai paniqué. Pendant quelques jours, j'ai persévéré en kidnappant deux escargots qui s'étaient cachés sous la haie. Sans le dire à personne, je les ai installés dans la petite maison que j'avais bâtie spécialement pour eux. Mais un jour, mon père est rentré dans la chambre sans toquer et il m'a surpris à jouer avec eux en tenant une feuille de salade trouée. Comparée chaque jour à une criminelle volant, v-o-l-o-n-t-a-i-r-e-m-e-n-t, la liberté de petits animaux qui se promènent simplement sous la pluie, j'ai fini par acheter des fausses plantes. 

Et, cette année, mes fausses plantes et moi même, avons décidé d'adopter un chiot. Pendant plusieurs mois, Maman m'a répété que j'avais de grandes ambitions. Elle n'a jamais précisé si c'était une bonne chose mais maintenant, avec le recule, je la soupçonne de s'être moquée de moi. Ce petit sourire au coin des lèvres, il était coquin. Je crois qu'elle et moi n'avons jamais réussi à faire le deuil de mes cactus ultra-résistants. 

Fley a maintenant presque un an. Quand ce matin, je le comparais à un agneau, je voulais dire un agneau de gros calibre ; un agneau qui dans deux mois, deviendra une brebis. Mais je ne vais pas m'attarder sur le sujet puisque je n'arrive pas à admettre qu'il n'est plus un chiot mais un chien, et que je vis complétement dans le déni. Il y a un an moins 2 mois, le jour où j'ai présenté Fley à ma famille, ma petite sœur s'est étouffée avec sa mousse au chocolat. C'était le dimanche 12 Juin midi, à l'heure de la mousse au chocolat. « T'as fait une faute à son prénom, on dit Fly, Fley, ça veut rien dire ». Lou, je l'adore. Mais ce jour là, j'ai voulu tout plaquer, escalader la table et faire un combat de lutte contre elle. Pourtant, Dieu sait que je suis nulle en lutte. Sa phrase a provoqué un éclat de rire générale chez ma famille bilingue, et on s'est moqué de moi tous les dimanches pendant trois mois, parce que j'avais voulu appeler mon chien Mouche, mais que comme j'étais A-12 en anglais, je n'y étais pas arrivée. Dans mes rêves les plus fantasmatiques, je me suis levée et je leur ai répondu : Erstens, My name is Julie et je suis pas A-12, d'abord. Et Fley... Fley, c'est comme Hey... ça sonne bien à l'oreille ! Fly, ça rime avec racaille. Rien à voir...

Tom Holland - Partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant