PROLOGUE • Chute abyssale

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Le lycée d'Oneria Hills arborait un patronyme aussi atypique que son fonctionnement.

On le situait dans la réserve naturelle de Hickling Broad, à la pointe est de l'Angleterre. L'établissement s'organisait de façon méthodique. L'entrée au nord se constituait d'un premier édifice, le bâtiment Administratif, dont le couloir principal coupait vers une imposante cour de récréation parsemée de routes en graviers et de machines à café. Plus loin au sud s'alignaient les quatre bâtiments scolaires : de l'ouest à l'est, les bâtiments Célestine (aussi dit l'internat), Rudimentaire (pour les enseignements obligatoires comme la littérature ou l'arithmétique), Complémentaire (qui regroupait les cours sur le surnaturel) et Sportif (destiné aux pratiques éponymes). Le tout était encerclé d'une large forêt qui délimitait le lycée dans son ensemble.

Pourtant, la particularité d'Oneria Hills résidait sans nul doute dans son aspect impeccable. Tout était sain et parfait. Les bâtisses restaient blanches et longilignes, l'herbe conservait sa même hauteur comme son éclat et les nuages ressemblaient toujours à de gros monticules de crème fouettée. Pour couronner le tout, les couleurs hivernales de l'institution se mariaient entre elles avec délice.

Mais jamais aucun britannique foulant le sol de la réserve d'Hickling Broad n'aura souvenir du lycée. Car Oneria Hills se dissimulait sous un dôme la rendant aussi invisible qu'impénétrable. Une autorisation de sa directrice Anabeth était de vigueur pour y poser le pied. La raison était justifiée ; l'académie hébergeait des jeunes des comtés anglais de Norfolk, Suffolk, Essex et Cambridge appartenant aux « races surnaturelles ». Il en existait six à travers tout le globe. De la plus dense à la plus rare, on trouvait les vampires, les loups-garou, les druides, les élémentaires, les métamorphes et les fantômes. Ainsi, l'établissement proposait, en plus des matières rudimentaires, un enseignement théorique et pratique sur le surnaturel, le tout sur un cycle de quatre ans - on parlait de troisième pour les nouveaux arrivants jusqu'aux terminales pour les plus grands. Les métamorphoses en loups géants et autres jets de feux obligeaient donc le lycée à se voiler durant les journées de cours.

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Décrit de la sorte, l'établissement donnerait envie à n'importe quel adolescent un tant soi peu attiré par le frisson. Pourtant, Clive Allister ne partageait pas cette opinion. Et plus le garçon se perdait dans le puit où il gisait, plus la tentation de démolir Oneria Hills le démangeait.

Son pied droit se sanglait d'un énorme boulet en plomb qui le tirait vers les fins fonds du gouffre aquatique.

Ses yeux s'embrumaient par l'eau salée ; ses mains se fripaient à l'usure, son crâne montait en douleur et ses oreilles sifflaient à chaque nouveau mètre descendu.

Ses lèvres et ses narines fermement ankylosées, il combattait la raison pour ne pas humer la moindre goulée d'eau.

Dans un premier temps, Clive Allister s'accrocha à l'espoir de pouvoir défier ses chaînes et nager jusqu'à la surface. Ses bras fouettaient d'une lenteur ridicule le liquide qui l'emprisonnait, ses yeux s'écarquillaient malgré le sel qui les piquait et sa jambe gauche donnait son maximum pour contrer sa jumelle paralysée. Mais le poids qui lui broyait la cheville s'avéra vite être un ennemi d'une catégorie largement supérieure et le captif finit par capituler.

Il entreprit de dépenser ses dernières forces pour songer à une autre échappatoire. L'envie de regagner la terre ferme ne s'était jamais révélée aussi pesante.

Tout en voyant s'éloigner les reflets de soleil qui bordaient la surface, Clive Allister ressassa tout ce qu'il traversait depuis ces derniers temps. De quelle façon Oneria Hills fut mis à sang. Par quel stratagème on se joua de lui et, par-dessus tout, comment la mort emporta l'un de ses meilleurs amis.

Dans une situation qui vous plaçait en désavantage, ce n'était pas tellement la peur de mourir qui vous tétanisait. Tant que le sujet vivait, rien ne le faisait songer au décès imminent. Tout du moins, il n'accepterait pas la mort avant d'en être frappée.

C'était la faiblesse qui nous clouait sur place. Lorsque l'on ressort perdant d'une confrontation périlleuse, on réalise que les situations orchestrées dans nos esprits - celles où l'on se nomine vainqueur - ne sont qu'illusoires. L'humain reste traumatisé par son manque accablant de puissance. Et ce sentiment, mélange entre perdition, abandon et échec, hantait Clive Allister depuis de belles semaines.

Il n'avait pas la carrure d'un héros. Courage n'était pas son qualificatif premier - il se défilait à la moindre complication. Ce qu'il affrontait depuis ces derniers mois ne relevait pas de l'héroïsme mais du subis.

Clive Allister était un vendu.

Et en ce terrible après-midi, ce qui restait de lui fut noyé sous les tumultes d'eau salée qui emplirent ses poumons.

MOONSTRUCK | SAISON 1Where stories live. Discover now