Dernières confessions

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DERNIERES CONFESSIONS

A l’homme, et au monstre aveugle nommé Humanité.

    Je sais que les personnes proches de moi croient que Cecile Sand est morte. Je sais bien que son cercueil est enfoui sous la terre et je peux affirmer que son corps s’y trouve bel et bien. Je peux cependant prouver que Cecile n’est pas vraiment morte, ni tout à fait vivante.

    J’ai rencontré Cecile à la fac. C’était une jeune américaine arrivée depuis quelques années en France et faisant ses études dans les environs de Toulon. Ses cheveux étaient d’un blond innocent et atteignaient le milieu de son dos. Son regard noir et éternellement préoccupé semblait fouiller mon âme et la mettre à nu. Son visage semblait de ceux dessinés dans un fragment de rêve. Elle était grande, ses seins semblaient doux et tendres et sa voix était comparable à celle d’un ange. Nous nous sommes croisés un après-midi à la bibliothèque et avons rapidement sympathisés. Nous avions le même goût pour les vieux livres, la même passion pour la solitude et le même dégoût pour l’humanité. Physiquement, j’étais tout son opposé : brun, plutôt petit, les cheveux longs et pas spécialement beau, je ne me rasais pas et avais les yeux verts. Je parlais très peu, préférant à la parole inutile le bruissement du vent dans les feuilles. Lassé de la stupidité de mes contemporains, de leur inutile quête de l’amour et du bonheur parfait. De leur peur et de leur aveuglément quand à leur propre fin. La mort : définitive et sereine. Je m’offrais, quant à moi, à cette femme, cet amant aux visages multiples, les cicatrices sur mes poignets étant autant de promesses de fiançailles.

    Nous avions rapidement décidé pour des raisons économiques, de partager un même appartement et trouvâmes notre habitat dans le vieux quartier de la ville voisine, la ville de La Garde. Notre appartement était composé de trois pièces dont une nous était commune. J’aimais y traîner et j’en savourais l’ambiance, à la fois nostalgique et très palpable. Le quartier était très pittoresque et j’aimais m’attarder sur telle ou telle masure. Cecile était très discrète et hormis les cours et les trajets pour s’y rendre, nous étions rarement ensemble, même si les autres étudiants pensaient que nous étions amants.

    Et des amants, Cecile en avait par dizaine chaque mois. J’entendais leurs rires depuis ma chambre, leurs gémissements alors que je révisais mes cours, je sentais leurs sueurs alors que je m’endormais et imaginais leurs jeux dans mes rêves. Je la laissais tous les soirs avec un, voire plusieurs hommes, follement excitée et joyeuse, et la retrouvais tous les matins seule, muette et presque éplorée. A cette époque, j’aurais tout fait pour être à la place d’un de ces hommes, pour sentir sous mes doigts la chaleur de l’envie, l’excitation du désir. Je me serais damné pour la voir par leurs yeux alors qu’ils se la passaient de l’un à l’autre pendant des heures.   

Cependant malgré ses folles nuits, Cecile était l’une des meilleures élèves de ma connaissance. Elle étudiait beaucoup et passait des heures dans de vieux livres poussiéreux, aux noms oubliés et aux couvertures abîmées par les sables du temps. Puis arriva ses vingt-deux hivers et Cecile changea du tout au tout. Délaissant ses nuits agitées, elle les passa à étudier, de muette elle passa à bavarde, si bien que je me surpris à la redécouvrir et à l’aimer, passionnément. A ma grande surprise, elle me rendit mon amour, me plongeant dans ses yeux et me perdant dans son corps.

 Un autre de ces changements s’opérait tous les week-ends. En effet, tous les samedis à quatorze heures, Cecile se promenait dans la vieille ville, seule, et n’en revenait qu’à la tombée du soir si bien que j’en vint à me demander quelle était sa destination et la suivit, par un bel après-midi de janvier.

    Je me rappelle encore cette journée. Le soleil brillait haut dans le ciel bleu de la Provence, des oiseaux profitaient du beau temps, les amoureux se tenaient par la mains en flânant, parlant sûrement de leur future vie commune ou de leur vie sexuelle entre deux rires et quatre baisers. Et Cecile. Elle marchait doucement, semblant profiter de la journée, du soleil ou du bonheur gluant qui nous entourait, de cette pitrerie mielleuse et naïve m’obligeant à sourire à mon tour tout en suivant ma maîtresse jusqu’au sommet de la vieille ville, là où se dressait une ancienne chapelle médiévale, au sommet d’un énorme pic rocheux. Je vis Cecile rejoindre un homme puis l’embrasser, à ma grande stupeur. Et quand le couple s’allongea à l’ombre d’un olivier, profitant de l’abri sur d’un rocher, je crus devenir fou de douleur. J’allai me lever pour m’expliquer avec les deux traîtres mais quand je vis Cecile sortir de la cachette qu’offrait la masse du rocher, je regagnais la mienne. Cecile avait un air horrible qui m’effraya plus que tout. Elle avait l’air heureuse et, Dieu me pardonne, repue comme si elle venait de finir un festin royal. Quand elle fut partie, je ne put m’empêcher d’aller voir ce que cachait ce maudit rocher. Comme je regrette à présent ma curiosité, qu’on ait pitié de moi ! Il ne restait de l’homme qu’un immonde tas d’os et de viscères fondant lentement dans le sol, qu’un corps dépecé et des os rongés pendant ce qui n’avait dut être qu’une minuscule poignée d’horribles secondes. Des secondes qui bouleverseraient ma vie à tout jamais. L’odeur qui s’échappait du charnier nauséeux manqua de me faire défaillir. Et je courus. Je courus de toutes mes forces, espérant arracher de mon esprit l’image de cet homme à moitié dévoré, voulant distancer celle de ma maîtresse repue, Mon Dieu, repue comme après un énorme repas frugal, espérant oublier la douceur de la nudité de cet être qui me chevauchait dans son lit… Quand je m’arrêtait de courir, j’était dans un petit champ, derrière la voie ferrée et juste devant un hangar désaffecté recouvert de graffitis idiots et puérils. Puis je vomis, me rendant compte que je n’avais pas réussi à effacer ces souvenirs de ma mémoire et ayant réalisé que je partageais depuis bientôt un an ma vie avec un monstre auquel je faisais souvent l’amour et me rendais ivre de plaisir à chacune de ses étreintes charnelles. Me relevant, je décidais d’en finir avec cette chose, quelle qu’elle soit, et fouillait les décombres pour me saisir d’une vieille barre de fer rouillée.

A présent, je regrette ma décision, unique cause de mon emprisonnement et de mon oubli. Comme je m’en veut de ne pas avoir réfléchis ou mieux pensé mon action…

    Quand je retournais à l’appartement, il faisait nuit. La vieille ville semblait pourtant déborder d’énergie, comme si ses habitants profitaient de l’obscurité pour vivre, pareils à des parasites devant cacher la nature de leurs horribles méfaits de la lumière du jour. J’entendais des amis criant devant un de ces stupides matchs de football stériles. Vains efforts pour redonner l’espoir au peuple, détourner leurs regards nombrilistes de l’odieuse face miséreuse d’un monde à l’agonie, où un homme peut tuer son frère en ayant mal interpréter un geste de l’homme habillé en bleu, en rouge ou en vert… J’entendais un couple d’amoureux aveugle de bonheur, gémissant au grès d’un coup de rein plus ou moins puissant, seuls au monde dans leurs étreintes langoureusement inutiles. J’entendais un homme engueulant sa femme et la frappant, lui reprochant une idiotie quelconque, ivre et violent, sans respect pour la douceur de cet être lui ayant pourtant donné tant de chaleur et de bonheur et voulant à présent mourir, sa honte l’étouffant, sa tristesse et sa peur l’égorgeant comme un énorme cochon se dévidant de son sang, prompt à nourrir quelques marmots pour que ceux-ci puissent grandir et se reproduire, entretenant au fur et à mesure cette odieuse Humanité, larve gluante annihilant  tout sur son passage, ne laissant miettes de ses destructions ou de ses méfaits et n’ayant aucune honte à commettre les pires atrocités, jamais dégoûtée d’elle-même et fière de son existence.

    Cecile m’accueillit comme à son habitude, c’est à dire, sans m’accueillir, probablement dans la salle de bain vers laquelle je me dirigeais, mon arme de fortune dans les mains. Mais quand je rentrais dans la pièce, personne ! Je me retournais pour apercevoir Cecile arborant un fier sourire, et je vis dans ses yeux que tout était déjà perdu. Lorsque je lui passais la barre à travers la tête, pensant la prendre par surprise, je mettais en fait la dernière pierre à un plan maléfique dont j’étais l’une des victimes et lorsque le corps de cette infamie innommable qui était ma maîtresse s’affaissa sur lui-même j’étais déjà en train de hurler, sentant une sourde douleur me vriller le cerveau. Puis, plus rien. La seule vision que je pouvais avoir était celle du plafond de l’appartement et la seule sensation celle d’être dans l’incapacité de bouger mon corps. Puis, une silhouette s’approcha de moi et je compris que c’était mon propre corps que j’observais. Par je ne sais quelle manipulation cette horrible créature avait réussis à m’emprisonner dans son corps, prenant le mien en échange ! Puis, Cecile me parla, depuis mon corps et avec ce qui fût jadis ma voix.

-« C’est fini maintenant. Attends-toi à de longues heures de solitude ! »

Puis elle traîna mon corps –non, le sien ! Le sien !- loin dans la vieille ville alors que j’étais incapable du moindre mouvement –forcément, j’étais mort !- mais uniquement d’observer ce qui fût la découverte du cadavre de mon ancienne compagne par un clochard. Puis tout alla très vite. Je suppose que Cecile s’est fait innocentée, je ne l’ai plus revue depuis car on me ferma les yeux très rapidement mais je pense l’avoir entendue –entendu ma voix !- a l’enterrement. Maintenant je n’entends plus rien et j’imagine que je suis enterré profondément sous terre. Combien de temps me reste t ’il ?  Cent ? Cinq cent ans ? Combien de temps vit une âme lorsqu’elle est prisonnière d’un corps qui n’est pas le sien ?  Est-ce que je serais libre lorsque cette foutue humanité se suicidera, ivre de bêtise et de bestialité aveugle ?

Pourquoi moi, qui n’aspirais qu’a mourir ? Mon Dieu, pourquoi moi ? Pourquoi ?

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