Faute professionnelle

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Je pose un gros galet au sol pour retenir la porte et je cours presque jusqu'à la voiture. C'est totalement stupide ! Je me sens même ridicule lorsque je constate sa gêne.

"S'il vous plaît. Ne partez pas."

La main sur la portière elle est prête à la refermer.

"Je vous dérange, je suis désolée."

Je ne veux pas la voir partir. Je ne dois pas la laisser partir.

"Je vous en prie, entrez. C'est de ma faute. Je.. mauvaise journée.

⁃ Mais mes parents vont m'attendre."

Un coup d'œil à ma montre m'indique qu'il est presque 16h45.

"Juste quelques minutes." Elle regarde longuement son tableau de bord, peut-être l'horloge. Elle se penche et saisit son sac. Je lui ouvre la portière pour la laisser descendre et referme derrière elle. Elle est gênée et moi aussi. Je peux être très gauche quand je ne réfléchis pas. Elle verrouille la voiture et attend que je lui emboîte le pas. J'ai bien trop peur de la voir disparaître pour la précéder, je lui fais signe de passer devant. Elle porte son sac en avant. Elle se protège de nouveau de moi, elle se protège du monde. Mais aussi grand soit son bouclier elle n'y arrivera jamais.

Elle porte une longue tunique tombant sur ses genoux et dévoilant ses très fines jambes. Un leggins au motif de planètes : cela me fait sourire.

Elle pousse la porte d'entrée mais n'a pas la force suffisante pour ouvrir. Je passe mon bras au-dessus d'elle pour l'aider mais elle se recroqueville comme un chien battu. Je suis bien trop proche d'elle, physiquement parlant. C'est une position délicate. J'aurai du réfléchir. Ce qui pourrait être totalement anodin dans d'autres circonstances s'avère être une erreur en face d'Emma.

J'entends sa respiration. Je sens les battements de mon cœur qui s'emballe. J'ai recouvert son corps du mien, je ne voulais que lui tenir la porte.

"Emma.." Je commence mais elle s'engouffre dans l'entrebâillement de la porte comme pour s'échapper d'une étreinte trop effrayante.

Mes réactions si maladroites ne sont pas si nombreuses d'ordinaire. Je shoote dans le galet, me maudissant d'être si peu professionnel aujourd'hui. J'ai vraiment hâte de rejoindre mes amis ce soir, pour oublier cette journée catastrophique.

Elle se dirige dans la salle d'attente :

"Vous pouvez passer dans le bureau."

Pour éviter de la mettre davantage mal à l'aise, je la précède. Elle me suit jusqu'au bureau et ferme la porte derrière elle. Je la laisse choisir une place. Elle se dirige comme toujours vers le bureau mais elle dépose seulement son sac sur la chaise. Elle laisse tomber son bouclier.

Je lui désigne les fauteuils. Ils sont confortables mais assez éloignés l'un de l'autre. Elle me fixe et je ne comprends pas pourquoi.

« Est-ce que vous voulez que je prévienne vos parents ?

⁃ Non ce n'est pas ça."

Je réalise alors que je n'ai toujours pas refermé ma chemise. Son regard me décontenance. Le haut de mon corps est mis à nu et je sens qu'Emma me déshabille entièrement à présent. Alors qu'elle choisit un fauteuil, je réajuste le col de ma chemise.

Je n'ai pas de dossier, je n'ai pas de feuilles, je n'ai même pas un stylo. Elle n'ose plus me regarder, Son regard se perd dehors. Je sais qu'il n'est jamais facile de venir se confier un psychiatre, d'autant plus lorsqu'il oublie le rendez-vous. Je n'ai pas eu vraiment le temps de préparer cet entretien. Je m'assois face à elle et elle recule encore plus dans son fauteuil jusqu'à ce que ses pieds ne touchent plus le sol. Elle place ses mains sous ses cuisses.

« Vous aimez-vous promener ?, Je lui demande.

⁃ Oui beaucoup." Elle tourne la tête vers moi et me sourit.

Je le vois dans ses yeux, la nature l'apaise, elle est calme. Elle lui apporte la sérénité. Elle ne se sent pas oppressée lorsqu'elle est seule.

« Est-ce que ça vous arrive de sortir ?

⁃ De moins en moins souvent.

⁃ Comment vous l'expliqueriez ?

⁃ Je... J'ai peur de croiser des gens.

⁃ Vous avez peur que l'on vienne vous embêter ? Vous parler ?" Elle acquiesce et je comprends. Je sais ce que les femmes doivent subir au quotidien. Parfois, alors même que nous sommes avec nos amies, des hommes viennent les aborder. Mais je ne peux qu'imaginer la panique que la possibilité d'une rencontre pareille provoque dans l'esprit d'Emma. Elle est sans défense.

"Est-ce que ça vous plairait de sortir ?"

Ai-je vraiment dis ça ? C'est bien ce que je viens de lui proposer ?

"Je ne sais pas." Elle répond et je me sens soulagé. « Si je sors alors je dois prendre ma voiture et conduire longtemps jusqu'à ce que je me sente moins angoissée. Et puis, lorsque ça devient supportable je me gare. Je prends mon MP3 et j'essaye d'oublier les dangers.

⁃ Qu'est-ce qui est un danger pour vous ?

⁃ Tous les gens." Elle me répond.

Elle se cache derrière sa longue chevelure. Je culpabilise de l'avoir fait patienter autant. Ses pieds se balancent doucement dans le vide. Ainsi, je ne lui donnerai pas son âge. Elle est si fragile que ça la rend innocente. Une sirène dans la rue la fait sursauter et elle regarde de nouveau dehors.

« Vous souffrez du bruit." Je suis obligé de constater.

"Oui surtout quand je suis fatiguée." Elle hoche la tête.

L'hyperacousie n'est pas rare puisqu'elle s'inscrit dans les troubles liés à une anxiété généralisée. Ce qui explique le besoin pour elle d'inonder sa tête de musiques fortes. Je ne peux pas éteindre ma mauvaise conscience. Plus le patient est fatigué, plus il est stressé. Plus son angoisse est importante, plus les symptômes sont nombreux. Et c'est de ma faute si elle est mal à l'aise aujourd'hui.

"Peut-être qu'un de ces jours nous pourrions continuer la thérapie dans la cour."

Je me lance dans le vide. 

Thérapie illégale (sous contrat d'édition M.E.C)Where stories live. Discover now