et puis... à coups de couleurs

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musique accompagnatrice ⬆

Dans mon sac, je plonge ma main tremblante pour en sortir une bouteille d'eau devenue tiède par la chaleur étouffante de ce mois de Juillet.

Je laisse tomber un petit flot d'eau dans un verre dont la couche de poussière remonte doucement à la surface.

J'attrape le petit pinceau d'enfant qui est à disposition à côté de la palette de peinture desséchée.

Je prends l'un des torchons laissés dans la cuisine.

C'est étrange, n'est-ce pas ? Une maison abandonnée depuis des années, et pourtant, tous les meubles, tous les accesoires y sont. La pendule du couloir indique midi environ, mais les aiguilles ne tournent plus depuis longtemps. Condamnée à ne plus fonctionner, usée, affaiblie. Détruite. Et la vie s'est arrêté. Ici. Uniquement ici.

Puis, je verse le reste de la bouteille d'eau sur le torchon. Des gouttes s'écrasent au sol au rythme de mes pas, tel le Petit Poucet semant ses bouts de pain sur son chemin. Pour ensuite se perdre.

Pour ensuite se perdre dans un espace restreint.

De retour au salon, mes mains agrippent le tissu épais des rideaux. Et brusquement, je les tire chacun d'un côté. La lumière filtre dans la pièce dévoilant la poussière qui vole au jour.

Et je vole avec elle. Oui, je vole. Je n'ai pas à être là, à toucher le sol de cette maison.

Mes pensées se confondent, s'emmêlent et alors, dans un tourbillon de crainte et d'incertitude, je passe rageusement mon torchon sur le mur opposé à la fenêtre. Sur le mur le plus ensoleillé. Je nettoie un petit endroit, capture la saleté, l'étouffe pour laisser revenir la couleur d'origine du mur.

Il ne suffit que du verre d'eau, de la palette de peinture, et du pinceau pour que je puisse faire revivre la couleur.

Mon pinceau mouillé, je laisse mon pinceau tournoyer entre les couleurs. Puis, délicatement, je trace un trait sur le mur.

La peinture n'est pas bonne. Les traits sont hésitants. Mais la délivrance y est.

Mon poignet guide ma main, qui guide mes doigts, qui guide le pinceau.

Les traits se rejoignent. La couleur naît. Puis j'appuie sur le rouge, dessine des courbes délicates.

Tes lèvres.

Alors, je m'éloigne. Et je souris. Je souris car je n'ai strictement rien oublié. Chaque trait de ton visage, tes fossettes, tes grains de beauté. Oh non, je te le promets, je n'ai rien oublié. Regarde.

C'est ton portrait.

Et je succombe. J'ai l'impression de te voir en face de moi, réellement. Je ne suis pourtant pas un artiste-né. Tu aurais pu être mieux dessinée. Tu aurais pu être dessinée sur une toile digne de ce nom. Tu aurais pu. Mais non. Tu es représentée sur un mur.

Tes yeux océans, dans lesquels je m'y plonge pour m'y noyer de bonheur. Tu me regardes, pas vrai ? Ton regard est sur moi. Tu m'observes. Et moi, je te contemple.

Ris. Je n'attends que ça. Mais s'il te plaît, ne te moque pas. Je n'ai jamais été fier de mon talent de dessinateur raté.

A deux enjambées, ma distance entre le mur et moi n'est plus qu'à trois centimètres à peine. Je souffle et j'ai la sensation que ton souffle se mélange au mien.

Mes yeux fixent tes lèvres rouges. Mes doigts les effleurent.
Mais ce n'est que le mur que mes doigts touchent.

Laisse-moi rêver. Rien qu'un instant. Reviens vers moi.

Car je meurs d'envie de ressentir mes lèvres effleurer, presser tes lèvres. Et j'en ai encore la sensation. J'ai ce frisson qui me parcourt l'échine, mes jambes tremblantes, comme affaiblies, mes bras. Puis mon coeur que je sens terriblement tambouriner contre mon torse.

Embrasse-moi.

Mes mains se posent pleinement entre les deux côtés de ton portrait. Puis je baisse la tête. Je ferme les yeux. Je les serre. Mes lèvres se cripsent. Mon visage est torturé. Ma voix se montre faible. Et mes larmes tombent.
Doucement.
Douloureusement.

Je m'efforce de m'écarter de ce mur. Et je pars. Comme ça. Et contrairement au Petit Poucet, je n'ai pas de mal à trouver mon chemin jusqu'à la sortie.

Comme toi, elle dessinait merveilleusement bien.

Instinctivement Where stories live. Discover now