trente-et-un // calamité

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Rien qu'à ces mots, tout le salon l'avait couvé du regard. Mille regards de pitié, tous aussi insupportables les uns que les autres. Marcus avait balayé l'air d'un geste de la main.

—   Je vais bien. Retrouvez Harry, c'est tout ce que je vous demande. À mon avis, il se promène sur la plage. C'est ce qu'il fait quand il veut être seul.

Tandis que le petit escadron de recherche composé de Travis, Jenny, Douglas et Dolores, seulement armés de lampes-torches, s'aventuraient sur la plage sinistre et venteuse, il s'était adossé au mur du salon et, têtu, n'en avait pas bougé depuis. C'était ainsi que Daisy l'avait trouvé tout à l'heure.

—   Je vois que tes parents ne t'ont pas appris les bonnes manières, petite, gronda Barnaski.

—   Oh, excusez-moi! Laissez-moi me corriger : vous êtes un gros con... monsieur!

Marcus releva la tête. Perdu dans ses pensées, il n'avait pas réalisé que sa jeune amie et son éditeur se disputaient depuis un moment. Tous deux se fusillaient du regard, muets de colère. Il fallait qu'il intervienne, et vite.

—   Pardonnez-lui son insolence, Barnaski! Elle ne pense pas toujours ce qu'elle dit.

—   Hein? Mais non, pas du tout, je... Aïe!

Daisy porta sa main à l'arrière de son crâne, qu'elle massa vigoureusement, furieuse. Après l'avoir frappée, Marcus lui fit les yeux ronds pour qu'elle se la ferme enfin; tout aussi touché fut-il par son côté protecteur envers lui, il ne pouvait pas la laisser engueuler ainsi son éditeur.

—   Barnaski, je suis trop crevé pour discuter affaires avec vous, surtout à cette heure. Rentrez à New York, je vous appelle demain pour qu'on discute de ce qu'on peut faire pour régler la situation. 

Barnaski protesta, mais capitula au bout de quelques minutes, finalement lui aussi fatigué de cette soirée.

—   J'ai intérêt à avoir de vos nouvelles à la première heure demain, Goldman, conclut-il d'un ton sans appel.

Après un dernier regard noir en sa direction, le grand homme tourna les talons sans plus de cérémonie, laissant derrière lui Marcus et Daisy, enfin seuls dans le salon toujours sens dessus dessous. 

—   Je le hais, ton Barnaski, déclara l'adolescente, boudeuse. J'aurais pu le frapper pour la façon qu'il t'a parlé. 

Malgré tout le tragique de la situation, Marcus ne put s'empêcher de sourire. 

—   Heureusement que je t'en ai empêché, alors. Ça coûte la peau des fesses, un procès.

—   Ouais? Eh bah, je m'en tape.

Cette fois, Marcus éclata de rire, mais ce n'était pas son rire habituel; c'était plutôt un rire amer. Un rire jaune.

—   Heureusement que Aldous n'a pas entendu ça, il m'aurait encore plus détesté, lâcha-t-il à brûle-pourpoint.

Daisy le dévisagea, les yeux ronds.

—   Quoi? Aldous? Mais non, il ne te déteste pas.

Marcus se pencha pour ramasser les verres en plastique tout collants qui traînaient à ses pieds. Pendant qu'il se dirigeait vers la cuisine pour les jeter à la poubelle et se laver les mains, il répondit posément :

—   Aldous me déteste, Daisy. Il est jaloux de moi, vois-tu. Même s'il n'a aucune raison de l'être, vu mes... préférences.

La rouquine, sur ses talons, s'écria :

Rimbaud et LolitaWhere stories live. Discover now