trente-et-un // calamité

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Barnaski singea aussitôt son comportement; il haussa les épaules de façon exagérée, les yeux au ciel, puis le rabroua sans aucune gêne :

—   Vous réalisez que cette histoire va faire le tour des journaux demain, à la première heure? Ce lancement est un fiasco, Goldman, un putain de fiasco, vous m'entendez? Aucune dédicace, aucune photo, et pire encore : aucune vente de votre nouveau livre! Nous aurions dû organiser tout cela à New York, comme prévu. Évidemment, il a fallu que vous vous y opposiez, et voilà le résultat!

Marcus ouvrit la bouche, la referma, comme un poisson hors de l'eau. Il ne pouvait nier qu'en ce moment, il se comportait comme la pire des divas et qu'il risquait non seulement de se mettre à dos tous ses lecteurs mais aussi de foutre en l'air toute sa carrière. C'était bien connu : à la moindre incartade, toute célébrité risquait de se faire lyncher sur la place publique.

Il tenta mollement de se défendre, sans trop croire à ses propres paroles :

—   Ça arrive à tout le monde d'avoir une mauvaise journée.

—   Une mauvaise journée? répéta Barnaski, ahuri. Vous voulez rire de moi? Vous savez combien de jeunots rêveraient d'être à votre place, Goldman? Des milliers! Voire, à l'échelle internationale, des millions! Des tas de gens se sont déplacés rien que pour votre belle gueule, et vous, qu'est-ce que vous faites? Vous annulez tout, parce que vous avez... Attendez, comment avez-vous dit ça? Une mauvaise journée?

Son éditeur fulminait. Marcus baissa la tête. En ce moment, très franchement, il échangerait volontiers sa place avec n'importe quel bouseux de ce pays.

—   Mais vous réalisez qu'il vient de se disputer avec son copain? Ils se battaient avant qu'on intervienne pour les séparer!

Marcus écarquilla les yeux. Daisy prenait sa défense. Avec son mètre cinquante-cinq, elle défiait le très pédant Roy Barnaski du regard, la tête haute, les pieds bien enracinés au sol. Incroyable. Mais adorable. La brave enfant.

—   Tu n'es pas supposée être couchée, à cette heure, toi? la nargua Barnaski. J'ai parlé à ta mère tout à l'heure, elle ne te surveille pas? Où est-elle?

—   Partie à la recherche de Harry Quebert, répliqua Daisy au tac-à-tac.

À ces mots, Marcus sentit une énorme boule se gonfler dans sa gorge déjà fort meurtrie.

Harry. Parti. Harry qui avait essayé de le tuer, Harry qui s'était évaporé dans la nature.

Il avait apparemment convaincu Travis et Douglas, qui ne le quittaient pas des yeux depuis qu'il avait attaqué Marcus, de lui ficher la paix, puis avait profité de la cohue dans le hall d'entrée pour s'évader de la maison, ni vu ni connu. Quand on s'était aperçu de son absence, Travis avait observé que, tout bien considéré, ce n'était peut-être pas une bonne idée que l'homme, dans son état, rôde dans les rues de la ville.

—   Quoi? Non, c'est ridicule, Harry n'est pas un... un déséquilibré, avait bredouillé Marcus.

Le dernier mot avait à peine franchi la barrière de ses lèvres que Travis avait insisté :

—   Mon garçon, tu aurais dû voir sa tête, quand on a forcé la porte du bureau. Il allait vraiment te tuer. Les gens les plus calmes sont en réalité les plus dangereux. Dieu seul sait de quoi il est capable...

C'est à ce moment que Marcus s'était senti lourd, éreinté, et qu'il s'était adossé au mur pour ne pas s'écraser par terre, comme une poupée de chiffon. Douglas lui avait souri, puis tapoté l'épaule.

—   T'inquiète pas, Marcus, on va te le ramener en moins de deux. En attendant, va t'allonger, t'es tout blanc. Tu veux de l'eau, peut-être?

Rimbaud et LolitaWhere stories live. Discover now