Il me répondit simplement :

-Laisse mon tranquille, je préfère être seul.

Une pointe de tristesse apparut dans son regard. Je ne cherchai pas à le contredire. Finalement je le comprenais, j'avais moi aussi pour seule compagnie la solitude, ce sentiment glacial qui crée un mur entre nous et les autres pour nous protéger. Je finis par m'assoir près de lui sans dire un mot et suivis son regard qui se portait loin, dans un endroit qui se voulait chaleureux, un endroit où il se sentait bien, en sécurité. C'est sûrement cette similitude qui a fait que nous nous entendons si bien. Il tourna lentement la tête, soupira et retourna dans son monde en scrutant l'horizon. Malgré son silence je compris que ma présence l'apaisait. Il faisait assez chaud ce jour-là, je me rappelais le vent, la légère brise qui venait caresser ma peau et faisait virevolter nos cheveux.

Chaque jour à la sortie de l'école je répétais les mêmes gestes, espérant qu'avec le temps il finisse par s'ouvrir à moi. Ce qu'il fit quelques jours plus tard. Alors que je commençais à perdre espoir, Jack se tourna vers moi et râla :

-Dis donc, tu n'as pas bientôt fini de me coller ?

J'ouvris grand les yeux comme si des cornes venaient de pousser sur sa tête et pris la parole :

-Ah mais c'est qu'il parle !

Il me lança un regard à la Clint Eastwood et croisa les bras comme si je venais de le vexer, même à l'époque, il était déjà très mauvais comédien. Il y eut un silence gênant que je brisai rapidement en imitant son comportement

-Mais comment osez-vous me parler sur ce ton, j'en toucherai mot à notre roi.

Dis-je en imitant la bourgeoisie française de l'époque de louis XIV.

Il me regarda d'un air surpris et ne put contenir le fou rire qui s'échappa quelques secondes plus tard.

Nous nous mîmes à rire aux éclats, après un long effort, je venais enfin de percer sa carapace.

-Salut, moi c'est jack, dit-il en me serrant la main de façon énergique.

Il avait une sacrée poigne pour un enfant !

Nous nous mîmes à discuter des heures durant, parlant de la pluie et du beau temps, de notre maitresse que nous décrivions comme un ogre des cavernes, avec sa poitrine tombante et sa face de crapaud. Nous avons échangé, rigolé jusqu'à voir apparaitre les premières lueurs du soir. Il était déjà presque 6h, ma mère devait se faire un sang d'encre, Jack se leva rapidement d'un air angoissé et me dit :

-Merde je me vais me faire pulvériser si je ne rentre pas rapidement à l'orphelinat !

-Salut Nathan, là faut vraiment que j'y aille, on se voit demain !

C'est à ce moment-là que je sus où il habitait et que notre grande amitié débuta.

Je me rappelais les fois où j'allais lui rendre visite tard le soir dans cette maison des horreurs qu'était son orphelinat. Une branche d'arbre situé derrière la grille traversait l'endroit, je m'en servais souvent pour me glisser à l'intérieur. Et ce lieu où il dormait, c'était un grand dortoir composé d'une vingtaine de lits alignés sur plusieurs mètres des deux côtés de la pièce. Ils partageaient tout. Il y avait un grand réfectoire où ils prenaient leurs trois repas sous le nez de leur surveillante, elle était aussi douce que la carapace d'un hérisson. La salle d'études dirigée d'une main de fer par Mme Kriple, c'était une vraie sorcière, un concentré de méchanceté ; sa voix de démone suffisait à me hérisser tous les poils et à provoquer en moi un sentiment d'insécurité.

C'était un endroit comparable à une prison, il dût se battre pour se faire une place là-bas, il en garda des cicatrices physiques et spirituelles. Cette période l'avait profondément marqué, en ce temps-là. J'étais devenu sa seule échappatoire, il pouvait, le temps d'une soirée, quitter cette ambiance morose et triste et s'amuser comme il aurait dû le faire comme un enfant normal.

A rude épreuveWhere stories live. Discover now