PREMIÈRE HALLUCINATION : Victoria

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            Quand on toqua à la porte de ma chambre, je n'avais aucune idée de ce qui était arrivé à Mathilde. Si je n'étais pas partie une heure en avance du lycée, j'aurais sûrement pris part à l'expédition organisée par Samuel. J'aurais senti le vent s'engouffrer dans mes cheveux dans la décapotable de Leila. J'aurais eu peur quand la jeune femme de l'accueil nous aurait annoncé que Mathilde « n'était plus parmi nous ». Mais j'aurais ri quand j'aurais compris qu'elle avait juste quitté l'hôpital.

Et surtout, jamais je ne leur aurais envoyé le SMS.

En fait, beaucoup de choses auraient changé si je n'avais pas quitté le lycée une heure en avance.

A la seconde où la vie scolaire avait fait sonner la cloche de 16h05 marquant la fin de mon cours d'Histoire de l'Art, l'écran de mon smartphone laissé en silencieux s'était illuminé dans ma poche. Détectant une activité lumineuse sur ma cuisse droite, je l'avais sorti pour voir qui m'appelait. La voix posée de César m'avait répondue. Le majordome m'avait alors appris qu'il m'attendait hors du lycée pour me ramener chez moi. D'après lui, mon père m'y attendait.

Pourtant, cela faisait plus de trois quarts d'heure que je patientais dans ma chambre, sans que Marco Brusco ne soit venu m'accueillir.

- Entrez.

Le visage tiré par les rides de César fit son apparition dans l'entrebâillement de la porte.

- Monsieur est arrivé. Il vous attend dans son bureau.

Le majordome tira la porte pour me laisser passer.

- Pas trop tôt... Râlai-je en rejoignant le couloir.

- Ne soyez pas trop dur avec lui, il a eu un contre-temps au travail.

Détachant ma queue de cheval auburn, je lâchai ce qui me passait par la tête :

- C'est difficile pour moi d'être sympa avec lui en ce moment.

César joignit les mains d'un geste désolé.

- Je comprends que les circonstances font que votre quotidien est difficile en ce moment. Mais rappelez-vous qu'il en va de même pour votre père.

Je haussai les épaules.

- C'est étonnant que je ne le remarque pas plus que ça, alors.

Nous venions d'arriver devant la porte du bureau. Le bois massif faisait barrière à un monde dans lequel je n'avais pas envie de pénétrer. Pourtant, il fallait bien que je l'affronte.

- Merci de m'avoir accompagné, lâchai-je à César en entrant.

Je regardai une dernière fois le visage rassurant du majordome avant de refermer.

De l'autre côté, le bureau était plongé dans la lumière grise et triste de l'après-midi nuageuse. A contre-jour, la silhouette sombre de mon père était appuyée sur le large bureau dans le fond de la pièce.

- Vittoria... murmura-t-il.

J'avançai rapidement, mes pieds nus foulant la moquette rouge au sol.

- Tu m'as encore fait convoquer afin de me sermonner ? N'essaie pas, mon choix est fait.

Délicatement mais sans perdre de ma rage, je reculai le siège et m'assis face à mon père.

- J'aurai dix-huit ans en septembre, et tu ne pourras plus m'empêcher de donner mon foie à ce moment-là. Si Mère survit jusque-là, bien sûr.

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