Chapitre 1

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Assis à l'une des trois petites tables rondes que dispose la boulangerie, je regarde d'un air absent l'éclair au chocolat que je me suis acheté en guise de gâteau et cadeau d'anniversaire après avoir passé trois jours dans le métro pour essayer de récolter quelques pièces afin de m'offrir cette gourmandise luxueuse. Avoir 18 ans est normalement un grand évènement attendu par tous adolescent. Pour moi, c'est juste une année de plus hors du système. Parce que mon anniversaire n'est pas seulement la date de ma venue au monde, c'est aussi le jour où ma famille m'a foutu dehors. Alors certes, je célèbre ce jour, mais seulement pour avoir une raison d'acheter une petite pâtisserie.
Je commence à manger cet exquis entremets en fredonnant l'air de la chanson "happy birthday". C'est tellement rare que je mange quelque chose d'aussi bon que je mâche par petits bouts, histoire de faire durer le plaisir un maximum et de rester le plus longtemps possible dans la chaleur de la pièce avant de devoir repartir dans le froid glacial. Nous sommes à la mi-janvier et Ce n'est pas facile de survivre durant les mois d'hiver. C'est pourquoi, durant cette période uniquement, je m'oblige à aller dormir dans un centre d'accueil. Je déteste ces endroits répugnants mais c'est le seul moyen que j'ai pour ne pas me transformer en statue de glace le soir venu. Malheureusement, il n'y a pas toujours de places dans ceux-ci et lorsque c'est comme ça, je suis obligé d'aller à Pigalle faire quelque chose qui me dégoûte mais qui me paye une chambre d'hôtel. Quelques minutes après que j'ai définitivement fini mon cadeau, l'une des employées vient me voir en me demandant gentiment et avec le sourire de laisser la place aux autres clients. N'ayant pas le choix, j'accepte en lui souriant en retour. Je mets ma veste, prends mon vieux sac à dos tout déchiré et vieilli et sort de la boutique

− Attendez ! Jeune homme, attendez ! Crie une femme à la porte de la boulangerie alors que j'étais prêt à traverser la rue. Vous avez oublié vos achats, dit-elle en me tendant un sac plastique au logo de la marque.

Quels achats ? Elle sait très bien que je n'ai acheté qu'un éclair. Curieux et ne refusant jamais rien d'une personne qui n'a pas l'air bizarre, je prends le sac et l'ouvre en fronçant les sourcils. Ce que je vois à l'intérieur me fait chaud au cœur et me semblait irréel : quatre petits pains, cinq croissants, un pain coupé et un sandwich. Par Zeus. Si j'avais encore la capacité de pleurer, je crois que je me serais effondré sur place car ce geste humain et le premier que l'on m'ait fait en trois ans

− Je...Je ne sais comment vous remercier, madame, dis-je en la regardant dans les yeux.

− Pas la peine de me remercier. A une certaine époque, j'ai connu votre situation. Et si ça tenait qu'à moi, je vous aurai embauché à la boulangerie dans la minute.

Ouais, je me doute. La boulangerie étant une franchise d'une grande enseigne où il faut envoyer son CV et lettre de motivation au siège social, le personnel de la boutique n'a pas le droit d'embaucher de nouveaux employés. Pas grave. De toute façon, je n'ai pas de CAP boulangerie, ni d'autres diplômes d'ailleurs. Je n'ai même pas le brevet.

− Je sais que vous n'avez aucun pouvoir sur les embauches, madame, répondis-je en souriant faiblement. Merci quand même d'avoir pensé à moi.

L'employée, qui devait avoir la quarantaine, me sourit chaleureusement avant de repartir à l'intérieur du commerce. Après avoir resté comme un con sur le trottoir à regarder le sachet remplit de nourritures pendant quelques minutes, je reprends mon interminable route à travers les rues Parisienne tandis que la nuit apparaît déjà dans le ciel. En trois années, j'ai pu apprendre à connaître comme ma poche une bonne trentaine de quartiers dans Paris intra-muros et je sais reconnaître ceux qui ne faut pas fréquenter la nuit venue. C'est l'une des choses qu'il faut savoir reconnaître si on veut survivre un minimum dans ce monde. Malheureusement, je l'ai appris lors de ma toute première nuit dans la rue après qu'un connard m'ait obligé de prendre de la drogue et de la vendre. Ce jour-là, pour m'échapper, j'ai dû donner mon premier coup de poing alors qu'à l'époque, j'étais d'une nature timide et très douce. C'était soit ça, soit je devenais un petit dealer de merde. Mon choix était vite fait.
Après cette expérience, je n'étais plus le même. L'adolescent que j'étais à découvert la face cachée de l'être humain en même temps qu'il a découvert le véritable visage de ses parents. A partir de là, j'ai commencé à me méfier de tout et de tout le monde. Cette méfiance ne m'a jamais quitté et ne me quittera jamais. Aujourd'hui, après toutes les épreuves que j'ai subi d'année en année, je suis devenu une coquille vide et il faudrait un miracle pour que la flamme se rallume en moi.
Après avoir marché une quinzaine de kilomètres et vue pour la millième fois l'allumage des éclairages municipaux ainsi que ceux de la tour Eiffel, je décide de rejoindre le centre d'accueil le plus près afin d'être dans les premiers à avoir les douches et donc, l'eau chaude. Sur le chemin, et bien qu'il ne soit que dix-huit heures, je mange le sandwich donné par la gentille dame de la boulangerie pour éviter qu'on me le vol dans la nuit car ces choses-là sont très prisée chez les sans-abris. Lorsque j'arrive aux portes du centre, celles-ci sont encore fermées et n'ouvrons que dans une heure. Je salue d'un signe de tête les quatre personnes déjà là et cache du mieux que je peux dans mon sac à dos le sachet de la boulangerie. Puis, je m'assoie au sol en mettant mes affaires entre mes jambes en ignorant les regards à la fois suspicieux et interrogatif des sans-abris près de moi. Soit ils se demandent ce qu'un môme fait là, soit ils ont vu le plastique de viennoiserie.

Moi, Sam, sans-abri (BxB) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant