Chapitre 4

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« Dans quatre ans la France sera engagée dans une grande guerre ! ».

Le terrible mot s'engouffra dans les oreilles de Lucien et la curiosité prit le contrôle de sa personne. Comme hypnotisé, il se mit à fixer la vieille femme voûtée, assise sur une couverture trouée et râpée jusqu'à la corde.

La pauvre bougresse semblait ployer sous un invisible fardeau, le visage voilé par un rideau de cheveux gris contrastant avec un rat blanc qui se tenait sur une de ses épaules. Tandis que les vibrisses de l'animal tremblaient de chaque côté de son museau pointu, la voix éraillée de sa maîtresse continuait d'annoncer des présages inconvenants :

« Le conflit durera quatre ans et fera quarante millions de victimes ! ».

Bien abrités du soleil par un chapeau ou une ombrelle, les visiteurs de la cathédrale n'appréciaient pas de se sentir exposés à pareil déferlement de misères prémonitoires. Afin d'échapper à la malédiction, ils ignoraient ou contournaient largement la clocharde, pensant éviter à bon compte d'éventuelles ondes négatives.

Les plus agressifs la traitaient de folle ou de sorcière et l'accusaient de perturber l'insouciance ambiante. Malgré les insultes et les menaces, elle continuait ses affirmations. La phrase suivante fila en direction de son unique spectateur :

« Toi aussi tu partiras te battre et tu seras médaillé pour ta bravoure ! ».

L'appel fut irrésistible, Lucien s'approcha et se sentit aussi captivé par la chevelure broussailleuse de la doyenne que transpercé par le regard rougeoyant du rongeur. Surmontant une étrange sensation semblable à des frissons de fièvre, le gamin voulut prendre l'ascendant :

— Qu'est-ce que vous en savez ?

— Mon garçon, la vie m'a fait un cadeau empoisonné : je vois certaines choses avant qu'elles ne se produisent.

— Et le passé, voyez-vous le passé ?

À cet instant, la vieille femme se releva légèrement et le rat se dressa sur ses pattes postérieures. Tous deux manifestant un intérêt évident, elle répliqua :

— Tout le monde peut dire ce qui s'est déjà produit.

— Puisque vous êtes si forte, que pouvez-vous dire de ce qui est arrivé à madame Dubreuil ?

— Et bien... aide-moi un peu... pense fort à elle pendant une minute...

Lucien ferma les yeux et compta les secondes. Avant d'avoir terminé, il entendit :

— Ah ! Tu veux savoir qui l'a assassinée ? Laisse les enquêteurs faire leur travail et... va livrer tes journaux. Maintenant, laisse-moi tranquille, je dois informer le peuple de ce qui l'attend.

Piqué au vif, Lucien répliqua :

— Comment avez-vous deviné mon métier ? Pourriez-vous aussi facilement retrouver le meurtrier ?

— Peut-être ! Apporte-moi un objet qui se trouvait sur le lieu du crime et un bout de fromage pour mon petit Filou si tu as besoin de notre aide.

— Qu'est-ce qui me prouve que vous dites la vérité ?

— Écoute bien, mon garçon : une femme va se noyer dans la Seine aujourd'hui, tu n'auras qu'à lire demain le journal que tu distribueras. La prochaine fois, ne viens pas nous voir les mains vides. Filou aime bien les croûtes de Gruyère.

***

À peine deux heures plus tard, Lucien avait déjà convaincu Louise d'utiliser la clé du tiroir d'Hortense pour aller dérober un petit ustensile dans la cuisine de la famille Dubreuil.

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⏰ Last updated: Mar 29, 2017 ⏰

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Une aventure de Louise d'EscogriffeWhere stories live. Discover now