Mila

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Aujourd'hui

La rue n'a pas changé. Elle est identique à celle d'il y a trois ans. Il y a toujours des vélos qui sont posés sur les pelouses devant certaines maisons. Il y a toujours ces jolis bacs de fleurs devant chez Madame Sims. Il y a toujours ce vieil arbre au coin de la rue. Non rien n'a changé.

Je reste un moment, assise dans ma voiture, garée un peu à l'écart. Je revois Abbie faire du vélo ici. Je me revois debout sous le porche à la surveiller. Et je revois cette fichue voiture griller le stop et la percuter.

Ash. Mon existence qui est devenu mon enfer.

J'ai enfin le courage nécessaire pour ouvrir la portière et descendre. J'hume l'air autour de moi. Un mélange d'herbe coupée, de senteurs florales. Cela faisait longtemps que je n'avais pas senti cela. Trop longtemps. Je referme la porte silencieusement puis commence mon périple. Je marche lentement comme pour m'imprégner de mes souvenirs. Comme pour me remémorer qu'il n'y a pas si longtemps, j'étais là. Avec Abbie.

Je continue ma promenade et arrive enfin devant mon ancienne maison. Celle là même que j'ai quitté un jour, parce que je n'y arrivais plus. Les murs ont été repeints. En blanc. Et les volets aussi. En bleu ciel. C'est joli. Abbie aurait aimé sans aucun doute. Des petites barrières blanches ont été posées autour et devant. Avec un petit portillon au bord du trottoir. Si j'osais, je sonnerai. Pour pouvoir entrer une dernière fois ici. Pour retrouver l'époque où j'y vivais. Mais je n'ose pas. Alors je fais demi tour et je repars vers ma voiture, en regardant une dernière fois la rue où j'ai vécu.

Je remonte dans ma voiture, mets le contact et m'éloigne rapidement. Je conduis jusqu'au diner, à la sortie de la ville. L'endroit est encore désert, seules quelques voitures y sont garées. Celles des employés et peut être certaines appartenant à des clients. L'atmosphère est la même qu'il y a trois ans. De la musique y est toujours diffusée, accueillant les clients. L'immense comptoir gris métallisé est toujours là, et les tabourets avec un pied métallique aussi.

J'entre aussi discrètement que possible, et m'installe à une table près de la fenêtre. J'ai vu sur le parking et la route nationale d'état qui passe juste devant. Celle là même que j'ai pris pour quitter la ville. Celle là même que j'ai pris pour revenir ici.

La serveuse se manifeste devant moi, un sourire aux lèvres.

"Café?" me propose t'elle

J'acquiesce et d'une main experte, elle verse le breuvage fumant dans la tasse posée devant moi.

"Que désirez vous commander?" me demande t'elle. Je lève les yeux vers elle et lui répond que je n'ai pas encore fait mon choix. Elle sourit encore une fois et m'informe qu'elle reviendra dans quelques minutes prendre ma commande, avant de s'éloigner. Je prends le menu, posé debout contre le sucrier puis l'ouvre. Je n'ai pas très faim ce matin. Et la nuit dernière ne m'a pas permis de me reposer non plus. Seul l'image de Ash était présente. Trop présente.

J'opte pour des œufs brouillés. Avec du bacon. La serveuse revient, prend ma commande puis s'en retourne déposer le papier en cuisine. Je laisse mon regard errer encore une fois à l'extérieur quand je sens la présence de quelqu'un près de moi.

"Mila? Mila Carter?" m'interpelle une voix masculine

Je me tourne vers cette personne et la reconnaît immédiatement

"Shérif Wilson" dis je

"J'ai raccroché le badge il y a un an Mila. L'heure de la retraite avait sonné pour moi, plaisante t'il. Je n'étais pas sur et certain que c'était toi. Tu avais quitté la ville aux dernières nouvelles. Tu reviens t'installer ici?" demande t'il

"Je ne sais pas encore. Je n'en sais rien" bafouillais-je

"Est ce que je peux m'asseoir?" demande t'il en me montrant la place libre en face de moi

"Bien sur"

Il a toujours son vieux stetson marron. La couleur est plus proche du beige maintenant mais j'ai toujours connu le Shérif Wilson avec ce chapeau. Depuis tout le temps que j'ai vécu ici. Il a vieilli. Des cheveux blancs ont fait leur apparition. La dernière fois, ils étaient grisonnants. Une tasse de café à la main, il prend place. Quelques secondes plus tard, la serveuse m'apporte mon assiette.

"Comment vas tu Mila?" demande t'il doucement

Contre toute attente, je me mets à pleurer silencieusement. Un trop plein de colère, de rage, d'amertume de ces dernières quarante huit heures. Je ne dirai pas que ça me fait du bien d'évacuer mais ça me soulage un peu. Il me tend des serviettes en papier pour que je puisse m'essuyer les yeux et souris faiblement.

"Raconte moi ce qui ne va pas Mila. Est ce que c'est le fait de revenir ici qui te rend comme ça? L'accident d'Abbie est encore beaucoup trop douloureux pour toi"

"C'est douloureux oui. Très douloureux. Que ce soit ici ou ailleurs, la douleur est la même"

"On ne guérit jamais de ce genre de drame. Mais on apprend à vivre avec" me dit il d'une voix douce

"Est ce que je peux vous poser une question?"

"Bien sur"

"Où en est l'enquête pour la mort d'Abbie?" demandais-je

Il souffle, passe ses deux mains sur son visage puis me réponds :

"Le dossier va être clôturé. Faute de preuves tangibles. Je suis désolé" dit il, avec sincérité

Je respire profondément. Sachant que ce que je vais dire va tout changer. Malgré mes sentiments pour lui. Et malgré tout un tas d'autres choses. Je dois le faire. Pour Abbie. Pour moi. Et pour lui aussi.

"Et si je vous disais avoir retrouvé la personne qui a tué Abbie? Que se passerait il?" lançais je, telle une bombe prête à exploser

Il écarquille les yeux, surpris de la révélation que je viens de lui faire.

"Peux tu t'expliquer plus en détails Mila, s'il te plait?"

"Pas de détails pour l'instant. Je veux juste savoir ce qu'il se passera pour cette personne?"

Il réfléchit longuement, se gratte la tête un instant avant de répondre :

"C'est délicat comme situation. Il y a d'abord le délit de fuite, puis non assistance à personne en danger, sans compter l'infraction au code de la route dans un premier temps. Ensuite, si cette personne se dénonce de lui même, ça peut éventuellement peser dans la balance. A condition qu'il ait, ce qu'on appelle des circonstances atténuantes. Mais dans ce genre de cas de figure, c'est peu probable. L'histoire d'Abbie est considérée comme un homicide. Reste à déterminer s'il peut être traduit en volontaire, parce qu'il y avait volonté de tuer, ou involontaire, ce qui semble être le cas puisque la voiture n'a pas marqué le stop" m'explique t'il

Je prends ma fourchette et commence à manger mes œufs. Après avoir avalé ce que j'avais en bouche, je reprends la parole :

"Combien d'années d'emprisonnement?"

"Aucune idée Mila. Sincèrement. Je ne suis pas juge dans un tribunal. Les lois changent régulièrement et les peines d'emprisonnement aussi. Je pourrais te dire dix ans ou seulement cinq. Voir deux en cas de bonne conduite mais je n'en sais fichtrement rien" s'excuse t'il

Je hoche la tête. Perdue dans mes réflexions. Nous souffrons déjà. Lui et moi. Et quelle que soit ma décision, nous souffrirons encore. Lui. Moi. Et lui aussi.

LOVE AND LIESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant