Je place mon index sur mon village, situé au sud de la carte, et suis du doigt le chemin que nous avons emprunté. En continuant de marcher à cette vitesse, nous n'atteindrons pas le prochain village situé approximativement à dix heures de marche avant la tombée de la nuit. Cette dernière tombant aux environs de sept heures, nous n'aurons pas d'autre choix que de dormir à la belle étoile ce soir, en espérant que le temps reste dégagé.

C'est après avoir repris la marche intensive depuis environ cinq heures, ma sœur balançant sur mon dos courbé, que j'ai l'impression de me faire happer par le silence. C'est un silence étrange, voire effrayant. Je n'entends ni les animaux qui courent habituellement dans les fourrés, ni les oiseaux sifflotant leurs diverses mélodies, ni aucune activité humaine. L'astre solaire commence déjà à se cacher derrière les montagnes lointaines et je dois me rendre à l'évidence : nous allons devoir dormir ici. Alors que je commence à faire glisser Ambre de mon dos, j'aperçois une forme rectangulaire dans l'ombre. Je plisse les yeux, pensant à un gros rocher. En me concentrant davantage, je distingue en réalité une petite maison. Ambre se réveille petit à petit en grommelant, je n'y prête pas attention. Submergé d'une vague d'espoir, je me mets à courir, mon sac cognant contre mon dos. Ma petite sœur court derrière aussi vite que ses petites jambes le lui permettent, visiblement interloquée et aussi excitée, un brouillard de sommeil enveloppant encore son petit visage. C'est donc non sans mal que j'arrive devant la petite porte en bois de cette chaumière en pierre dont les murs auraient bien besoin d'un peu de rénovations. En tournant la tête, je remarque un petit potager, et j'imagine tous les bons légumes et fruits qu'il pourrait contenir au printemps.

J'attends qu'Ambre me rejoigne, tout essoufflée, puis je toque doucement à la porte. J'essaie de discipliner mes cheveux et m'éclaircis la gorge, pourtant personne ne vient ouvrir. Déçu, mais ne me décourageant pas pour autant, je toque à nouveau, de manière plus assurée et distincte cette fois-ci. Les minutes passent, et toujours rien. Le froid nous mord le bout du nez et paralyse nos doigts, et mon regard se pose sur ma petite sœur dont le visage est rouge cramoisi. Elle halète, ses yeux sont larmoyants et son nez coule sans arrêt. Inquiet, je pose délicatement le dos de ma main sur son front et la retire presque aussitôt... Elle a de la fièvre. Elle ne s'est pas plainte de tout le trajet, pourtant, cela a dû être un calvaire... Je me sens affreusement coupable. Je tambourine à la porte, impatient, mais personne ne vient nous ouvrir. Alors, j'appuie sur la poignée, et à ma grande surprise, la porte n'est pas verrouillée.

La pièce est petite et sombre. J'aperçois aussi un tas de draps à côté de ce qu'il me semble être une cheminée. Je m'empresse d'y poser ma sœur, avant de chercher à tâtons de quoi allumer un feu. La bâtisse est vide et silencieuse, néanmoins une odeur de lavande y demeure encore, bien que mélangée à une autre senteur, beaucoup plus désagréable. Tout est calme, ça ne sent ni la poussière ni le moisi, comme si les propriétaires avaient quitté le domicile aujourd'hui. Je marche doucement en faisant attention à ne me prendre aucun meuble. Malgré cela, mon pied droit bute dans quelque chose et je m'étale sur le plancher, ventre à terre.

En me redressant, je m'aperçois que mes mains et mon visage sont trempés et une odeur affreuse s'empare de mes narines, faisant contraste avec la douce odeur florale sentie plus tôt. Paniqué et pris de haut-le-cœur, je me relève précipitamment. Je remarque que mes chaussures baignent dans un liquide poisseux et collant, alors je fais trois pas en arrière avant de me saisir de mon sac.

J'attrape le sachet de poudre rougeoyante et j'en frotte une pincée entre mes doigts tout en me rapprochant de l'âtre de la cheminée. J'y jette la poussière brûlante et une braise apparaît au creux des bûches, d'abord faible, puis grandissante. Au fur et à mesure que la pièce s'éclaircit, j'arrive à distinguer la flaque qui m'avait accueillie plus tôt. Elle est de couleur sombre et a incrusté le plancher, ainsi que sur certains meubles en bois. En la suivant des yeux, mon regard se pose sur une petite forme indistincte. Je m'approche tout doucement avant d'étouffer un cri. À mes pieds se trouve le corps inanimé et mutilé d'un jeune garçon, aux environs de l'âge d'Ambre. Ses yeux sont exorbités, sa bouche crispée laisse échapper un cri silencieux et sa chemise est trempée de sang. Ses beaux cheveux blonds bouclés sont collés contre son visage avec du sang séché alors qu'il tient encore dans sa petite main inerte un ourson brun en laine. Cette vision est insoutenable, j'ai envie de vomir, de pleurer, de hurler, de partir. Je ne peux m'empêcher de laisser s'échapper un sanglot, peut-être car mon esprit me force à imaginer ma sœur à sa place.

L'horreur ne s'arrête pas là. En regardant là où trône un poêle, aux côtés du garde-manger, j'aperçois deux autres formes sombres. L'une est suspendue au bout d'une corde attachée à la poutre maintenant le toit, l'autre et replié d'une manière étrange sur le sol, une large flaque de sang l'entourant. L'odeur qui plane dans la pièce me rappelle celle dans l'étable lorsque c'était le jour d'abattage des bovins, bien qu'un peu cachée par la forte odeur de fleurs séchées qui embaume la maison. Je suis saisi de violents spasmes, des larmes coulent sur mes joues et je n'arrive pas à réfléchir clairement. Je sais juste qu'il faut que nous partions, et immédiatement. Je fais tout ce que je peux pour ne pas vomir, car je sais que les repas sont précieux.

Je me dirige vers ma sœur, dont l'état l'empêche presque d'ouvrir les yeux. Heureusement, pensé-je. Alors que mon bras se tend vers elle, la porte d'entrée s'ouvre à la volée et une voix rauque et cassée s'exclame :

« Tiens, tiens ! Regardez les gars, on dirait bien qu'on a trouvé de nouveaux jouets ! »

Agartha - L'appel de l'inconnu [Terminé]Where stories live. Discover now