Chapitre 5 :

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« Jour 9

Nous avons décidé de traîner Thomas derrière nous avec une sorte de brancard de fortune fabriqué avec des branches plutôt solides. Il est lourd, mais toujours vivant. Ses plaies sont nauséabondes et suintantes. Si je n'ai pas trouvé le temps d'écrire plus tôt, c'est parce que traîner mon ami m'a créé des cloques affreuses sur la paume des mains. Le simple fait d'écrire m'arrache à chaque fois des grognements de douleur. Je profite d'avoir pu les soulager dans un petit étang d'eau fraîche pour écrire un peu pendant qu'Erik change les bandages de Thomas. Le climat ici est terrible, les nuits sont glaciales et les journées sont étouffantes. Nous sommes tous terrorisés, attendant le moment où une autre créature nous saute dessus dans notre sommeil. Cependant, la plupart des animaux d'ici se contentent de nous observer de loin, enfin pour le moment... Peut-être, est-ce parce que nous ne dormons que d'un œil ? Où est-ce l'odeur atroce qui émane de Thomas qui les fait fuir ? C'est mieux comme ça, au moins nous pouvons continuer à avancer. Plus le temps passe et plus Thomas s'affaiblit. Sa respiration se fait plus saccadée, il ne gémit même plus lorsqu'on touche à ses bandages et sa peau est brûlante. J'espère toujours qu'un miracle se produira, même si je perds espoir petit à petit... »

Je referme brusquement le livre. Au début, je croyais que c'était une histoire fantastique racontant les aventures d'amis qui partent à l'aventure en quête d'une quelconque planète utopique... En réalité, ce récit semble beaucoup trop vrai, trop détaillé... C'est probablement une histoire véritable en fin de compte. J'essaie de ne pas trop y croire, mais chaque mot que je lis m'incite à penser que ce récit raconte la vérité. Ça devient de plus en plus intéressant.

De toute manière, je n'ai pas le temps de continuer car je dois préparer à manger et coucher Ambre. Il ne reste presque plus de légumes, l'hiver est rude et glacial et je ne peux me résoudre à tuer nos vaches pour nous nourrir. Tout ce sang... Je ne peux pas. Mon père a essayé de me forcer quand j'avais quinze ans, ce fut un fiasco. J'ai vomi toute la nuit et j'ai arrêté de parler pendant deux jours. Dès demain, j'irai faire les courses quand Ambre sera à l'école.

Une fois ma petite sœur couchée et le livre rangé, je m'installe sur le banc du salon, pensif. Le vent glacial souffle fort dehors et les flocons commencent à couvrir les fenêtres. Je ne cesse de penser au livre... Les détails semblent si réels. Et si cet homme nommé James avait réellement été découpé à cause des voyages interplanétaires ? Et si ce Thomas avait été attaqué par des monstres, pour de vrai ? Est-ce que ces créatures existent vraiment ? Je veux dire, pourquoi nous aurait-on menti si elles n'étaient pas réelles ? Je me rappelle qu'on me rabâchait leur existence quand j'étais gamin. J'ai entendu mes voisins me dire que si je n'étais pas sage, on m'enverrait sur Naniorh pour nourrir les monstres. Ça me paraissait très grossier et peu probable, mais l'idée générale que des créatures mangeuses d'hommes habitent là-bas s'est rapidement propagée et c'est désormais de notoriété publique de penser qu'ils existent. Que des questions qui demeurent sans réponse... Enfin, si. La réponse doit se trouver dans le livre. Je ne trouve pas le courage de continuer la lecture maintenant, alors je m'allonge sur la couchette dans le salon. Je finis par m'endormir après quelques minutes.

C'est Ambre qui me réveille le lendemain matin en me demandant de l'accompagner à l'école, prétextant qu'elle a peur d'y aller toute seule aujourd'hui. Merde ! Je me lève en sursaut et enfile mon manteau à la hâte avant d'attraper ma sœur par la main. Je veille à bien claquer la porte et la fermer à double tour avant de partir pour l'école, qui se situe au nord du village. Sur le chemin, j'adresse quelques sourires polis aux villageois qui croisent notre route, mais personne ne me répond. Pire encore, ils nous lancent des regards mauvais, marmonnent ou changent de direction, comme si nous étions des pestiférés. Arrivés devant son école, j'embrasse Ambre sur le front et la regarde rejoindre un rang d'enfants agités.

Lorsqu'elle arrive devant eux, ils s'arrêtent tous de rire, de parler ou de se bousculer. Ils la fixent, tout simplement. Soudain, un petit garçon plus costaud que les autres s'avance vers elle et la pousse violemment en hurlant « Fille de traître ! Pouilleuse ! Va-t'en ! » avant de lui cracher dessus. Les autres enfants se mettent à scander cette même phrase en riant. J'ai l'impression que mon cœur est en train de se déchirer. Ma sœur éclate en sanglots, toujours à terre. L'institutrice reste de marbre devant cette scène. Pire encore, je crois voir un sourire arquer sa vilaine bouche. Je me précipite en courant vers Ambre et la soulève de terre avant de la serrer fort dans mes bras. Je me tourne vers la maîtresse et prends une grande inspiration.

— Vous devriez avoir honte ! C'est inadmissible.

— Je ne pense pas que je devrais être la personne honteuse, Seth.

— Pardon ?

— Les gens comme vous n'ont pas leur place ici. Ils ne font qu'attirer des problèmes aux autres. Si la vache est malade, il faut la tuer avant qu'elle ne contamine tout le troupeau.

Évidemment, il fallait qu'elle fasse une métaphore de la sorte. Je soutiens son regard, me mordant furieusement les joues pour ne pas perdre la boule et me jeter sur elle.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez. Moore a simplement fait une fausse déclaration, réponds-je.

— De vous à moi, Seth, nous savons très bien ce qu'il s'est réellement passé. Moore est une personne respectable, et il n'a aucune raison de mentir.

— Ma famille est tout aussi respectable que la sienne. La prochaine fois que vous n'avez plus d'argent, ne comptez pas sur mes parents pour vous donner des repas chauds, réponds-je sèchement avant de tourner les talons. Je m'en vais aussitôt en direction de la maison sans un regard en arrière, accélérant le pas pour éviter une autre altercation. Mon épaule est trempée de larmes et les sanglots d'Ambre me déchirent le cœur. Je voudrais qu'ils aillent tous brûler en enfer, je serais même prêt à les y envoyer moi-même. Je serre les dents et accélère le pas, apercevant déjà notre maison.

Cependant, je remarque qu'un papier est accroché à la porte d'entrée, bougeant mollement au gré du vent. Je m'approche jusqu'à arriver devant la porte et je le décolle aussitôt pour le lire. Là, écrit en pictogrammes rouges, est écrit en gros AVIS DE DÉCÈS, à côté desquels se trouve le sceau de la garde impériale.

Agartha - L'appel de l'inconnu [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant