Chapitre 20

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« Le bonheur naît du malheur, le malheur est caché au sein du bonheur. »

Lao Tseu

Londres, 1973.

            Mai était passé. Juin était bel et bien installé. J’avais obtenu mon diplôme, ayant enfin trouvé le courage de peindre un paysage comme j’en avais le don avant toute cette histoire. J’étais un peu plus sereine désormais. Et aussi un peu plus maigre. Voire même trop maigre pour être en bonne santé. C’était peu exagéré de dire que l’on pouvait sentir mes os en me chatouillant.

                  Je profitais du soleil, assise sur un banc de Hyde Park. Je passais le plus clair de mon temps dehors désormais, ne souhaitant plus rester enfermée pour me morfondre. Même si j’en souffrais toujours. Une partie de moi était restée avec Syd, là-bas, dans cet appartement, et je n’avais pas le courage d’aller la retrouver.

                  Nos relations s’étaient améliorées avec Lorraine. J’avais fini par accepter son aide, complètement au bout du rouleau. Je lui avais promis de ne pas me laisser engloutir par ce torrent d’émotions qui me noyait de jour en jour. La promesse avait été plus dure que prévue à tenir. Je m’étais laissée dépérir. Elle n’en savait rien, étant rentrée chez elle pour un mois.

                  Je tournais la tête pour prendre une cigarette dans mon sac quand je vis au loin David avancer d’un pas plus que déterminé. Je serrais mes mains autour de la bandoulière, remis mon gilet sur mes épaules pour cacher mes cicatrices sur mes bras et allais me lever quand il m’appela. J’hésitais entre fuir ou faire face à ce qu’il voulait me dire. Je choisis la première option.

« Doraleen s’il te plaît !

- David laisse-moi !

- Doraleen ! Tu peux fuir Syd, mais moi je t’ai rien fait alors arrête ! s’énerva le guitariste en attrapant mon poignet, ce qui me fit grimacer.

- Qu’est-ce que tu veux ? crachais-je en me tournant vers lui.

- Tu devrais aller le voir.

- Eh, mais qu’est-ce que vous avez tous avec moi ? Ce sont mes affaires ! C’est Lorraine qui t’a demandé de me parler, c’est ça ?

- Non, c’est Syd.

- Raison de plus, dis-je en me dégageant de sa poigne.

- Tu vas continuer de fuir ainsi ? Comme tu l’as fait quand vous étiez à Cambridge ? »

                  Je m’étais éloignée pour partir mais mon corps se glaça. Comment pouvait-il savoir ? Personne n’avait été mis au courant que j’avais quitté la maison après une dispute avec ma mère lorsque je m’étais mise en couple la première fois avec Syd. David n’avait qu’un seul moyen de le savoir. Tout ceci émanait de Syd.

« C’est Syd qui t’a dit ça, marmonnais-je sans me retourner.

- Il était mal, il avait un peu bu… Fais quelque chose, sans quoi, ça en sera vraiment fini cette fois.

- Je peux pas David. Il m’a trahi. Il avait fait la promesse, pour qu’on puisse enfin vivre comme on le voulait, tous les deux.

- Doraleen, je t’en supplie… Syd est mon meilleur ami à moi aussi. Tu ne peux pas tirer un trait sur plus de dix ans d’amitié comme ça. »

                  Il s’était approché de moi pour poser une main autour de ma taille et me prendre dans ses bras. Il fit une grimace en sentant mes côtes sur sa peau, mes phalanges se serrer autour de ses poignets, une à une. J’étais en train de devenir une des mes œuvres : une femme décharnée, dont les contours devenaient de plus en plus anguleux, plus osseux.

The Heart of the SunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant