Chapitre 19

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« La confiance un mot qui perd tout son sens quand la trahison et la déception sont commises. »

Anonyme

Londres, 1973.

            Je donnais un coup de pinceau rageur sur la toile blanche avant de fondre à nouveau en larmes. J’avais l’impression qu’on m’avait retiré tous mes organes un à un en l’espace d’une semaine, qu’on avait coupé méticuleusement chaque tendon et arraché chaque os de mon corps pour n’en laisser que mon enveloppe extérieure. J’étais tellement mal.

                  Syd me manquait, c’était un fait indéniable. Plus que jamais. Mais je n’arrivais pas, je ne me sentais pas prête à retourner vers lui de si tôt. Il avait trahi notre promesse. Il m’avait trahie. Je me sentais comme trompée, comme si finalement, je n’étais pas la seule chose dont il avait besoin pour se sentir bien. C’était peut-être égoïste.

                  Je reposais le pinceau dans mon pot d’eau, et me reculais en remontant une énième fois les manches de ma blouse bleu clair. Tout ce que j’étais capable de peindre ces derniers jours, c’était un corps ou un visage déformé par la douleur. Aujourd’hui, c’était une femme qui s’arrachait la peau et l’intérieur de son corps avec ses ongles.

« Vos tableaux sont bien trop morbides, mademoiselle Mac Arthur, me fit sèchement remarquer le prof de peinture qui allait nous évaluer pour le diplôme de fin d’études. Même Frida Kahlo n’est pas aussi désespérée.

- Frida Kahlo ne faisait pas des tableaux morbides, elle peignait juste ce qu’elle ressentait.

- Soit. Vous n’irez pas loin avec ceci, assena-t-il en pointant mon tableau d’un geste dédaigneux du menton. J’ai déjà vu vos autres toiles, elles sont nettement plus intéressantes. Vous devriez vous arrêter là pour aujourd’hui. J’en ai assez vu de vos cadavres déchiquetés et de vos femmes hurlantes. Partez. »

                  J’avais tellement envie de lui dire que je n’arrivais pas à peindre autre chose à cause d’un junkie, qui était accessoirement mon meilleur ami et mon…petit ami. Je soupirais, sentant les larmes remonter, et ouvrais avec force les pressions de ma blouse pour retourner dans les vestiaires. Je suffoquais.

                  Je m’appuyais contre mon casier, et ne pus empêcher une larme brûlante de couler sur ma joue. Je roulais en boule ma blouse pour la mettre au fond de mon casier, récupérais mes affaires et quittais le cours, malgré les appels de mes amis. J’entendais le vieux professeur des Beaux-Arts ricaner dans sa moustache argentée.

                  Je me dirigeais vers mon casier pour y récupérer mes affaires afin de travailler ce soir. En ouvrant la porte, je fus surprise d’y découvrir encore là-haut, accrochée, une photo de Syd et moi. D’une main tremblante, je l’attrapais et eus envie de la déchirer. Mais je ne pouvais pas. Si le jour où je l’avais trouvé en overdose, j’avais pu, c’était autre chose là.

                  Je fermais d’un coup sec la porte métallique et quittais la fac. Mai s’était installé. Les fleurs poussaient partout, la vie reparaissait, et moi, je me mourrais de l’intérieur. A petit feu. Je souris en voyant Lorraine devant la fac, un sachet de la pâtisserie à côté de chez nous en main, contenant surement un muffin au chocolat.

« Hey, fit-elle doucement. Ca va ?

- On dira oui, répondis-je sur le même ton. Je crois que mes nuits blanches ont beaucoup trop d’impact sur mon caractère et sur mes projets ces temps-ci.

The Heart of the SunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant