5. Nouveaux visages.

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Asgeir observa un moment la fillette crottée, assise en amazone entre une selle et l'encolure d'un cheval, l'air d'y réfléchir.

— Elle est bien la seule, vous êtes sûr ...? Aucune autre personne ? C'est que ce ne sera pas une promenade et que la gamine est frêle. Non, eh bien, je fermerai les yeux pour cette fois, accorda le seigneur d'un geste circulaire de la main.

La gamine se courba sous le regard appuyé du Chef et murmura quelques paroles de remerciements, ce qui contenta le châtelain. Elke avait cru un bref instant qu'elle ne s'en tirerait pas à si bon compte, lorsqu'il l'avait dévisagé avec déception. Elle savait que ceux qui désobéissaient aux lois de la châtellenie pouvaient se voir mutiler si on le jugeait nécessaire, ou condamner à une vie de travail misérable, généralement loin de toute famille. S'il ne lui avait pas pardonné, il aurait pu réclamer sa langue pour qu'elle ne parle de sa transgression à personne. En tout cas, c'était la menace qu'avait utilisé Osbern lorsqu'il avait découvert son escapade jusqu'à la Frontière et qu'il lui avait interdit d'en parler. D'un autre côté, sans cette expédition et sans sa présence en tant que guide, elle n'aurait pas pu obtenir le pardon d'Asgeir. Osbern avait eu raison de dévoiler ce secret maintenant et de l'impliquer dans l'escorte. Peut-être que c'était tout réfléchi. En fin de compte, Elke ne regrettait pas d'être ici à la place d'un autre berger, pas même Ran. En revanche, elle se sentit inquiète, à présent que l'expédition se faisait plus concrète à ses yeux. La possibilité de perdre sa langue n'avait pas été la seule chose qui l'avait réduite au silence, il y a quelques années : le lieu même où elle s'était rendue l'avait tant dérangée, et avouer son escapade lui avait fait si honte, qu'elle n'avait jamais souhaité le révéler à quiconque, pas même à Osbern. Elle pensait encore aujourd'hui que personne ne voudrait réellement se rendre dans un endroit pareil, à moins d'avoir une sérieuse raison de le faire.

Alors que le seigneur Asgeir ordonnait de se remettre en marche, le Chef lança un avertissement à la ronde :

« Veillez à bien vous suivre les uns les autres. Cette plaine est maudite : quiconque se séparera de l'escorte risque l'égarement.

— Qu'entendez-vous par là ? s'étonna le châtelain. Depuis quand mes terres sont maudites ?

— Il y a bien quelque chose dans l'air qui cause cet « égarement » comme vous dites, Chef Osbern, fit le sorcier, s'exprimant pour la toute première fois.

Sa voix claire et fluide prirent tous les guerriers, et Elke, au dépourvu. Et lorsqu'il sentit tous ces regards interdits sur lui, il s'empressa d'ajouter :

« Je ne dis pas pour autant que vos terres sont maudites, sire. Il s'agit simplement d'un peu de sorcellerie.

— Vous pouvez sentir de la sorcellerie, ici... sire ? lui demanda Osbern, soudain perplexe.

— Pas « sire », mais lucanien Sage, rectifia-t-il humblement, avant de répondre. Je pourrais vous dire d'où elle provient en temps normal, mais il s'agit d'un type de sorcellerie particulier. Je n'avais encore jamais vu cela. Elle agit comme un brouillard invisible, on n'a pas conscience de son effet sur nos sens et c'est cela qui cause « l'égarement ». Je suis surpris que votre village vive à côté d'un endroit si incommode.

— Oui, on ne compte plus le nombre de personnes qui se sont égarées ici.

— Comment faites-vous lorsque cela arrive ? Vous retrouvez ces gens, lorsqu'ils se perdent ?

— J'aimerais moi aussi le savoir, fit le seigneur Asgeir, le regard circonspect. C'est la première fois que j'entends parler d'une chose pareille. Mon père était-il au courant de la situation ?

— Votre père, paix à son âme, était au courant, il me semble. Mais il n'aimait pas se mêler des affaires de notre village. Vous comprenez, nous formons un cas particulier dans votre fief. Mais vous êtes bien plus bienveillant que lui, sire. Aussi, je peux vous dire comment nous retrouvons nos égarés : nos bergers, qui sont habitués à sillonner la plaine, savent comment se repérer à travers... hum, ce brouillard. Pour cette raison, je dirais même que leur métier est bien différent de celui des autres bergers que vous croiserez ailleurs ; et c'est pour ça aussi que pendant un ou deux ans, lorsqu'un nouveau berger apprend à conduire les bêtes, il ne peut le faire qu'en présence d'un autre berger expérimenté. Lorsqu'un de nos villageois se perd dans la lande, nous envoyons un berger avec son troupeau dans la plaine. Vous le remarquerez peut-être mais ici le son se propage de manière étrange, mais tant que vous le suivrez, il vous mènera toujours à sa source. Les cloches de nos moutons font un signal parfait pour le disparu, et il peut se repérer grâce à lui pour rejoindre le berger.

La Légende de Doigts Gelésحيث تعيش القصص. اكتشف الآن