Chapitre 8 :

162 17 3
                                    

Je tourne les pages à la hâte, un peu angoissé. La suite est-elle cachée ailleurs ? Peut-être que les pages ont seulement été détachées et rangées avec le livre ? Je sais très bien que je me trompe, mais je suis dans le déni. Je veux en savoir plus sur Agartha. Assoiffé de connaissance, je désire apprendre, voir, comprendre. Je me précipite vers le trou dans lequel le livre était caché et fouille avidement pour attraper les autres livres. Ils sont tous vétustes, poussiéreux ou déchirés, contrastant avec leurs couvertures toujours plus ou moins soignées. Les titres sont écrits avec de belles lettres et les reliures couvertes de morceaux de cuir. Toute cette lecture à propos d'Agartha me replonge finalement dans mon enfance, me rappelant que j'étais obsédé par cette planète lorsque j'étais gamin. Je bassinais mon grand-père avec des questions sans queue ni tête, comme s'il en connaissait les réponses. Je le revois me sourire et poser sa main sur ma tête avant de porter son index à sa bouche, l'air de dire que c'est un secret.

J'attrape le premier livre venu, de couleur légèrement rouge, dont les lettres d'or annoncent Histoire de l'humanité, tome I. Il ne m'intéresse pas plus que ça. Continuant à sortir les livres, un à un, en cherchant le livre qui pourrait abreuver ma soif de connaissance. Les ouvrages sur le système Nenan s'empilent sur le sol poussiéreux, néanmoins il n'y a aucun livre sur Agartha. Résigné, je décide de reposer les planches. Au dernier moment, je remarque un tout petit livre noir, aux coins déchirés. Il semble beaucoup moins luxueux que les autres et sur sa couverture est écrit Naniorh : Survivre en milieu hostile. Je découvre, au fur et à mesure que je feuillette l'ouvrage, de petits croquis tracés de manière précise au crayon et représentant des créatures étranges. Elles ne ressemblent pas aux animaux qui peuplent nos planètes, elles sont dotées de cornes aiguisées, plusieurs paires d'yeux ou deux bouches, des crocs acérés...

Certaines d'entre elles ont d'énormes griffes, d'immenses ailes de chauve-souris ou des queues couvertes de picots. Sur chaque croquis est indiqué la taille approximative des bêtes, accompagnée de caractéristiques telles que « Venimeuse » ou « Carnivore » ou encore "À éviter absolument"... Plus je tourne les pages et plus j'ai peur. Un frisson désagréable me parcourt la nuque. Peu d'animaux sont qualifiés d'inoffensifs, comme si chaque petit être vivant de cette planète cherchait à démembrer, éviscérer et décapiter les humains. J'ai beau fixer les dessins, je ne parviens pas à me convaincre qu'ils sont censés représenter de vraies créatures. Des choses comme ça ne peuvent pas exister, c'est insensé, me dis-je à voix haute en fixant le croquis d'une sorte de chouette à deux têtes, aux serres si grandes qu'elles peuvent soulever un rocher.

Est-ce qu'Agartha vaut vraiment la peine de se faire dévorer ? La promesse d'une utopie peut-elle réellement me faire risquer ma vie ainsi que celle de ma petite sœur ? Cette question me tourne dans la tête jusqu'à m'en donner la nausée. Je ne sais pas. Pourquoi est-ce à moi de prendre ces décisions ? Je n'ai jamais demandé à être seul, à devoir endosser le rôle d'un adulte. Mes mains tremblent, je ne sais pas quoi penser. D'un côté, si nous restons ici, nous allons mourir de faim. Sans bétail, nous ne gagnons plus d'argent, et sans argent, je ne peux pas acheter de nourriture. Personne ici n'aura pitié de nous, les marchands préféreront jeter les restes de leurs produits plutôt que de nous nourrir et je devrais regarder ma sœur mourir... D'un autre côté, partir en quête d'une planète paradisiaque en traversant Naniorh et risquer de se faire dévorer, ou pire, est une tout aussi mauvaise idée. Il faut que je prenne une décision. Je pense que je l'ai prise depuis longtemps, mais que je refuse de réellement l'admettre. Cette obsession que j'avais enfouie depuis si longtemps, voilà qu'elle refait surface en détruisant tout mon bon sens. Si nous devons mourir, autant le faire ailleurs qu'ici. Nous allons partir pour Agartha.

Les jours suivants passent à une vitesse folle, j'alterne entre m'occuper de ma sœur et me plonger dans tous les livres qui parlent des autres planètes. Je m'abreuve de toutes ces connaissances historiques et géographiques, j'apprends les itinéraires par cœur, les noms des plantes et des fruits comestibles, comment reconnaître l'eau potable et l'eau infectée, etc. Ma sœur ne comprend pas l'intérêt soudain que je porte à Agartha, je lui expliquerai en temps voulu.

Cela fait désormais deux semaines que je suis plongé dans les livres, je ne dors presque plus. Nous n'avons quasiment plus rien à manger, la situation devient critique: j'ai dépensé nos dernières pièces pour acheter des aliments qui se conservent le plus longtemps, les marchands étaient très réticents et m'ont doublé le prix original. Il est temps de partir, sinon je vais devenir fou. Mon esprit est encombré, j'ai besoin d'aventure, de voyage. J'ai comme l'impression d'étouffer ici, que tous les habitants du village me fixent quand je passe. Les murs me semblent se rapprocher, j'étouffe, je ne me sens plus à ma place. L'obsession pour Agartha devient trop présente, elle m'aveugle et me pousse à la suivre. Le regard fixé sur un livre, j'entends un petit bruit derrière moi. Je me retourne et vois Ambre, à moitié cachée derrière la porte.

— Seth... Qu'est-ce que tu fais ?

— Rien d'intéressant, réponds-je. J'étudie.

— Je ne suis pas bête, tu sais. Tu me caches quelque chose. Ça fait longtemps que tu ne souris plus, tu ne me lis plus d'histoire, tu ne me bordes plus. J'ai peur... Où sont papa et maman ?

Merde. Merde, merde, merde, merde. J'étais tellement obnubilé par ce voyage que j'en ai oublié le plus important. Je me déteste. Ambre a dû attendre, jour après jour, espérant que papa et maman rentrent à la maison, en vain. Si je lui annonce maintenant, elle risque d'être détruite. Elle ne va plus à l'école, tous ses amis lui ont tourné le dos, son grand frère passe plus de temps plongé dans les livres qu'avec elle... Non. Ce n'est pas le bon moment, il va falloir que je mente pour le moment. Je sais que c'est mal, ce mensonge me dévorera sûrement, mais je n'ai pas le choix. Si je veux donner à ma petite sœur une vie de rêve, il faut que je mente, une toute dernière fois.

— Tu sais quoi, Ambre ? Tous ces livres, je les lis pour nous préparer.

— Nous préparer à quoi ? demande-t-elle.

— À rejoindre papa et maman... Sur Agartha.

— Sur Agartha ? Pourquoi sont-ils partis là-bas, sans nous ?

— Tu comprendras quand tu seras plus grande. Maintenant, il est temps de partir. Tu es prête pour partir à l'aventure ? bafouillé-je en tentant de paraître sincère.

Ses yeux s'illuminent et elle se met à sourire. Cela fait tellement longtemps que je ne l'ai pas vue aussi heureuse. Elle dévale les escaliers en riant. Pourtant, je ne souris pas. Je me rends compte que ce mensonge va la détruire, il sera beaucoup plus dévastateur que la vérité elle-même. Impossible de reculer, c'est déjà trop tard. Je m'avance lentement vers mes vêtements et les mets dans un grand sac à dos. Je fourre le peu de vivres qu'il nous reste, deux gourdes d'eau et quelques bandages. J'attrape également un sachet de poudre rougeoyante, qu'on appelle peu communément poudre de rubis. Il suffit de la frotter rapidement entre les doigts, comme si on les claquait, pour faire apparaître une étincelle. C'est ce qu'il y a de plus pratique pour démarrer un feu, on importe ça de Gereos depuis longtemps. La poudre est extraite d'un minerai assez commun là-bas, tout le monde en a. Après avoir tout fourré dans mon sac, je finis par le boucler et le poser près de la porte. C'est là tout ce que nous avons. Nous sommes prêts. En route vers Agartha.

Agartha - L'appel de l'inconnu [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant