2. Soyez prudente, mademoiselle !

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Lorsque j'eus fini de m'habiller, je m'assis devant ma coiffeuse pour essayer de dompter ma crinière rousse. Mon reflet me renvoya l'image d'une jeune femme aux joues rondes, à la poitrine développée, aux yeux verts bordés de longs cils, et à la peau très pâle. Je me lançai un regard noir et plissai le nez à mon égard, tout en nattant mes cheveux. Je n'aimais pas mon image. J'étais trop... Trop étrange. Toutes les jeunes filles que je connaissais étaient sveltes, élancées, et blondes aux yeux bleus. Moi, j'étais rousse, et ronde. Tout ce que les personnes n'aimaient pas, à cause des croyances. J'avais déjà été accusée d'être une sorcière, mais mon père avait prouvé à tout le village que c'était faux. Mais malgré cela, on ne m'approchait pas. Et cela m'allait très bien. J'aimais bien la solitude.

Je remontai ma longue et épaisse natte en un chignon, puis me relevai. Je percevais de l'agitation au-dehors, et réprimai un mouvement de rage. Au lieu de m'énerver, je chaussai mes bottes de cavalière, et sortis de ma chambre. Les couloirs étaient vides. Lentement, je m'avançai vers le grand escalier, et retins un soupir de soulagement en voyant qu'il n'y avait personne dans le hall. Rassurée, je descendis avant de sortir dans les jardins. Mais je m'arrêtai net en voyant les soldats s'entraîner à l'épée, non loin des écuries. Je serrai la mâchoire, et les contournai pour rejoindre mon cheval. Mais une voix, que je reconnus comme celle de ce Baptiste, m'interpella :

« - Mademoiselle ! »

En soufflant d'énervement, je m'arrêtai de marcher, et me retournai lentement vers lui. Son regard gris caressa chaque partie de mon corps tandis qu'il levait un sourcil appréciateur, et un étrange sentiment m'envahit. Pour dissimuler mon trouble, je toussotai :

« - Que me voulez-vous ? »

Je détestais aussi mon accent, vestige de mon enfance passée en Irlande. Il me faisait hacher les syllabes, ce qui n'était pas du plus bel effet. Un sourire échappa au capitaine devant mon ton peu amène, et il s'inclina. Je remarquai que sa chemise lui collait à la peau à cause de son entraînement, et sentis une vague de chaleur me frapper. Je n'étais point habituée aux hommes. Je déglutis tandis qu'il se redressait, et il s'excusa en souriant :

« - Je suis vraiment navré de la phrase que j'ai eue ce matin, je ne voulais point vous gêner. Je vous prie de me pardonner. »

Un instant, je faillis l'interroger. Quelle phrase ? Mais aussitôt, je me souvins. C'était celle qui excusait le fait qu'ils m'avaient réveillée. Phrase qu'il avait prononcée en me détaillant très indécemment du regard. Je remuai la mâchoire, intimidée et gênée devant son regard caressant. Voulant fuir au plus vite cet homme qui m'embarrassait au plus haut point, je marmonnai :

« - Vous êtes tout pardonné. »

Sur ces mots, je tournai les talons, essayant de marcher calmement pour ne pas lui montrer mon trouble. Sans me retourner, je pénétrai dans les écuries, et me précipitai vers Royal, mon cheval. En me voyant, il piaffa d'impatience, et un éclat de rire m'échappa tandis que je caressai ses naseaux, toute gêne disparue. J'embrassai doucement sa crinière, avant de me détourner pour prendre la selle et le mors. En temps normal, un palefrenier était censé le faire à ma place, mais je n'aimais pas trop confier Royal à une autre personne que moi. Je le sellai, puis lui enfilai le mors, le récompensant de sa docilité par quelques murmures affectueux chuchotés au creux de son oreille, qui bougeait pour suivre le son de ma voix. Puis, je le tirai par la bride pour qu'il sorte des écuries.

Il me suivit sans s'impatienter, habitué à se montrer doux. Une fois dehors, je ne prêtai pas attention aux soldats, même si je les entendis cesser de s'entraîner. Ils devaient m'observer. Ravalant la boule de gêne qui se formait dans ma gorge, je caressai lentement mon cheval, puis l'enfourchai. Montée à califourchon, j'arrangeai mes jupes afin de dissimuler mes jupons et mes jambes. Je détestai monter en amazone, je ne me sentais pas libre de mes mouvements. Je le caressai doucement pour l'apaiser, puis le talonnai doucement pour qu'il s'avance. Les bruits d'épées qui s'entrechoquaient reprirent, et malgré toutes mes résolutions, je coulai un regard vers eux. Mon cœur se mit à battre de façon désordonnée lorsque je vis que le regard de Baptiste était fixé sur moi. Au lieu de détourner la tête, je me redressai et lui lançai un regard sombre. Je fus récompensée par un sourire qui fit s'empourprer mes joues. Lorsqu'il souriait, cet homme devenait diablement beau. Et infiniment dangereux.

Je me détournai brusquement, et talonnai Royal, qui partit au trot en direction de la forêt qui jouxtait notre demeure. J'entendis ce catholique de malheur s'exclamer :

« - Soyez prudente, mademoiselle ! »

Depuis quand s'inquiétait-il pour ma sécurité ? Je ne pris pas la peine de répondre, serrant la mâchoire pour tenter de me calmer. Pourquoi mon cœur battait-il si vite ? Parvenue à la lisière de la forêt, je fis accélérer Royal afin qu'il galope. J'avais l'horrible impression d'étouffer.

Assez rapidement, je parvins à mon refuge. C'était en fait une petite rivière, mais lorsque je venais là, j'avais l'impression de me ressourcer. J'arrêtai ma monture, descendis, et m'écroulai à genoux au bord du rivage. Je me mordis la lèvre, et lâchai un juron en irlandais. Je détestais cet homme ! De quel droit osait-il se permettre de jouer avec moi comme il le faisait ?! Car je savais qu'il provoquait délibérément mes gênes et mes rougeurs ! De plus, je ne pouvais le cacher, car le moindre rougissement se voyait, sur ma peau si pâle. Cela devait bien l'amuser de me voir me troubler ! Quel goujat ! Il était comme tous ces catholiques, qui se targuaient de tout mieux savoir que tout le monde ! Car c'était bien pour cela qu'il y avait une guerre civile, c'était à cause d'eux !

Je trempai mon mouchoir dans l'eau de la rivière, et le portai ensuite à mes tempes. Cela faisait à peine un jour que cet homme était entré dans ma vie, mais je m'impatientais déjà de son départ ! Je soufflai profondément, avant de penser que c'était aussi en partie ma faute. Si j'avais eu une expérience des hommes, je n'aurais pas été si troublée. Mais aussitôt, je me secouai. Pourquoi accordais-je autant d'importance à ces futiles réactions ? Je ne devais pas perdre d'esprit que c'était un catholique, et donc un ennemi.

Sur cette pensée, je me redressai, animée d'une nouvelle résolution. J'allais arrêter de me comporter comme la dernière des oies blanches, et réellement les ignorer. Et lorsque ces catholiques comprendraient qu'ils n'étaient pas les bienvenus, ils partiraient de notre demeure.

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Au repas du soir, j'eus la surprise de découvrir, en plus de mon père, ce Baptiste. Ils étaient tous les deux attablés, bavardant avec animation. Lorsqu'il me vit entrer dans la pièce, mon père s'excusa avant de se tourner vers moi :

« - Où étais-tu donc, Jeanne ? Le repas est déjà servi.

- Navrée. J'étais dans la forêt. »

Il eut un regard las pour moi, puis sourit :

« - Allons, tu es pardonnée. Viens t'asseoir. »

La mâchoire serrée, je vins m'asseoir en face de mon père, à ma place habituelle. Le capitaine, assis à côté de mon géniteur, eut un long regard pour moi, qui me caressa toute entière. Je me crispai pour ne pas rougir, et me détournai afin de me servir. Comme souvent, il y avait des pommes de terre et de la viande bouillie. Je ne savais quand était la dernière fois que j'avais pu manger des sucreries, et surtout, un gâteau... Mais en temps de guerre, les denrées se faisaient rares.

Je commençai à manger silencieusement, tandis que la conversation entre les deux hommes reprenait. Ils parlaient de leurs familles respectives. Je retins un soupir ennuyé, picorant dans mon assiette. Soudain, Baptiste tourna la tête vers moi, me demandant de sa voix chaude :

« - Avez-vous fait une bonne promenade, mademoiselle ? »

Je fus un court instant tentée de l'ignorer, mais mon père m'adressa un regard d'avertissement. Alors, je reposai ma fourchette sur le bord de l'assiette et regardai ce capitaine dans les yeux, qu'il avait fort beaux :

« - Oui. Je vous en remercie de vous en inquiéter. »

Une infime note de sarcasme pointait dans ma voix, qu'il dût percevoir, car un rictus amusé étira ses lèvres. Je serrai les dents pour ne pas baisser le regard, et ce fut finalement lui qui tourna la tête, me laissant un goût étrange dans la bouche.

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Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que Wattpad beugue à chaque fois que je veux poster un chapitre ? xD Quoiqu'il en soit, je vous souhaite une bonne année en retard, et j'espère que ce chapitre vous a plu. ^^ J'aime bien Baptiste, je le trouve intriguant (et dangereux pour Jeanne...) Et vous, qu'en pensez-vous ?

Raison ou sentiments ? ✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant