Chapitre 6 :

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Mon sang se glace dans mes veines, je suis paralysé devant ce ridicule morceau de parchemin froissé dans mes mains tremblantes. Ambre pleure toujours contre mon épaule et n'a pas remarqué le message. J'inspire profondément, stoïque devant notre porte. Je suis terrifié à l'idée de lire ce qui est écrit, peur de faire face à la réalité... Malgré tout, je commence :

 « Chers Monsieur et Mademoiselle Grimmes, nous avons l'immense regret de vous annoncer la mort de Jill et Marianna Grimmes. Leurs corps ont été retrouvés sans vie sur la route d'Elos, au nord d'ici. Nos enquêteurs mettent tout en œuvre pour trouver le coupable du meurtre présumé. Un agent passera chez vous dans la semaine afin de discuter des formalités.
Sincères condoléances. »

Sans m'en apercevoir, un flot de larmes vient noyer mes joues et atterrissent sur la feuille. Je le froisse, le déchire et le jette sur le sol, la rage bouillonne en moi. Pourquoi ? Pourquoi faut-il que ça arrive à nous ? Le bonheur nous est arraché violemment, et on nous laisse un ridicule bout de papier collé sur la porte en guise de consolation ?! Je repose Ambre par terre, et donne un énorme coup de poing dans notre porte d'entrée. Mes os craquent sous le choc et la douleur remonte jusque dans mon coude. Même si j'ai mal, je m'en fiche. Un filet de sang coule le long de mes phalanges et plusieurs échardes se sont plantées dans ma main. Je serre les dents, ma petite sœur a arrêté de pleurer. Elle a peur maintenant, je le sais parce qu'elle a reculé d'un pas et me fixe en silence. Comment vais-je lui expliquer ? Comment dit-on à sa petite sœur que ses parents ne reviendront pas ? Pour l'instant, je décide de ne rien dire, puisque dans mon état, je risque de manquer de délicatesse. Je serre les dents et ouvre la porte. J'installe Ambre sur le banc et la recouvre d'une couverture. « Je suis désolé de t'avoir fait peur, petit ange. Ce n'est rien. Tu peux te reposer maintenant » dis-je, en essayant de garder mon calme. Elle ne bouge pas, je pense que je l'ai choquée.

Dans la cuisine, je fais couler de l'eau fraîche sur ma blessure qui a déjà pris une vilaine teinte violacée. Mon majeur et mon annulaire ont gonflé et je grimace de douleur. Je fais couler l'eau fort afin de couvrir mes pleurs. Impossible de m'arrêter, je craque, m'étouffant entre mes sanglots. La douleur dans mon cœur est plus forte que la douleur que je me suis infligée. J'ai perdu mes parents, deux êtres doux, pleins de compassion et de sagesse... Désormais, j'ai ce poids sur mes épaules. Il faut que je m'occupe d'Ambre, tout seul. Je me sens coupable de penser ça, que l'idée que ma sœur soit un fardeau me traverse l'esprit, même pendant une demi-seconde. Je ne cesse de repenser à ce bout de papier, à ces mots qui semblent ne rien vouloir dire. La route d'Elos ? Mes parents ne passent jamais par là, sous aucun prétexte. Ils rallongent toujours leurs trajets pour emprunter des routes sûres et gardées, jamais ils n'auraient pu se faire attaquer par des bandits. C'est un peu comme si... Je n'ose pas y penser, peut-être est-ce de la paranoïa, pourtant j'ai l'impression que la raison de leur mort est bien différente de ce qui est énoncé. J'en ai des frissons d'effroi, je repousse ces idées dans un coin de ma tête, là où elles ne pourront pas me faire de mal.

Les jours suivants se passent dans le silence. Ma sœur ne pose pas de questions, et j'ai du mal à parler. Je ne lui ai toujours pas annoncé la nouvelle, je ne sais pas comment faire... Cela fait un moment que nous ne sommes pas sortis, et nos réserves de nourriture sont épuisées. Il ne reste que des quignons de pain presque rassis et un reste de soupe, sans doute périmée depuis trop longtemps. Nonchalamment, je me lève et m'habille, sans forcément prêter attention à mon apparence. J'aide ma sœur à s'habiller à son tour, sans échanger de mots. Une fois son manteau enfilé, elle me prend la main et nous partons vers le marché sur la place principale. Je me raccroche à la sensation de sa peau contre la mienne, ça au moins c'est vrai. Ça m'aide à garder les pieds sur terre. Je serre ma prise un peu plus fort.

Comme la dernière fois, les passants nous lancent des regards noirs, ils nous jugent. Arrivés devant les étalages de légumes et de produits frais, le vendeur ne nous adresse même pas un regard. Il continue de trifouiller dans ses caisses en bois sans prêter attention à nous, je pense même qu'il fait semblant. Je me racle la gorge, puis demande : « Excusez-moi ? » mais il ne me regarde toujours pas. Je réitère la demande, sans pour autant avoir de réponse. Excédé, je tape du poing sur la table en bois et le vieil homme sursaute. Cet homme fait semblant de ne pas nous connaître, pourtant il est ami avec mes parents depuis plusieurs années. À contrecœur, il s'approche. Je passe la commande, pointant des légumes, des œufs et des herbes. Il met le tout dans un panier, et m'annonce le prix : 57 pièces. D'ordinaire, je commande plus que ça et j'en ai pour une trentaine de sous.

Agartha - L'appel de l'inconnu [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant