Chapitre 47

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Freyja s'écarte de lui et le regarde dans les yeux quelques secondes avant de murmurer, les joues rougies :

« Je vais chercher du vin. »

Faolàn hoche la tête et Freyja, d'un pas léger, disparaît à la cuisine, éclairée doucement par la lumière du soleil rouge qui filtre à travers les carreaux. Elle ferme les yeux quelques instants et inspire profondément : il flotte une odeur doucement effacée de pain, de vin, de savon et de chaleur. Elle tend la main, une fois les yeux bruns à nouveau grand ouvert, et sort deux verres joliment décorés. Elle verse lentement à boire dans les deux, les attrape et à nouveau, cesse tous mouvements pour quelques secondes, quelques petites secondes de rien du tout durant lesquelles un sentiment de bonheur coule dans ses veines et que des rêveries lui illuminent la tête. Elle et Faolàn étaient en vie, et tout allait bien se passer. Ils allaient vivre ici, dans la jolie maison que Kild leur a laissée, au milieu des bois. Faolàn allait réapprendre à marcher, elle allait appeler Agda. L'été, ils aideront dehors, l'hiver ils seraient confortablement assis devant un feu de cheminée. Freyja sourit doucement et sort finalement de la cuisine pour aller retrouver Faolàn. Ce dernier est assis sur une chaise, le bâton d'Ulla négligemment allongé par terre, les yeux mi-clos. Elle pose un verre devant lui.

« Tiens. », murmure-t-elle et Faolàn sourit en relevant son visage vers elle.

« Merci. », répond-t-il, tout aussi doucement, en prenant le gobelet et avalant une première gorgée. Freyja s'installe à côté de lui et timidement, allonge sa tête sur l'épaule du jeune homme, qui l'enroule dans un bras, posant sa joue sur ses cheveux.

« Faolàn, tu sais... Il y a encore tellement de choses que tu dois me raconter. », dit Freyja. Faolàn rit doucement.

« Quoi comme ? »

Freyja réfléchit un instant.

« Ce que chacun de tes tatouages signifie. Ce que tu aimes faire, ce que tu n'aimes pas. On a vécu tellement de choses qu'on en a oublié l'essentiel. On n'a pas eu le temps d'apprendre à se connaître à proprement parler et tout ce que je sais réellement, ce sont les horreurs que tu as vécu. Je ne veux plus d'horreurs. Je ne veux plus de peine. »

Faolàn hoche la tête.

« Tu as raison. », dit-il doucement, « On ne pourra jamais laisser le passé dernière nous mais ... On peut avancer, on peut se reconstruire ce qu'il a détruit. Et si tu veux connaître chacun de mes tatouages, si tu veux savoir ce que je pense, ce que j'aime... Je te dirai tout. Je veux recommencer, Freyja, je veux une vie où personne ne sait ce que j'ai fait, une vie où on ne me juge pas et où je peux vivre paisiblement sans me demander si je vais mourir le soir ou si j'aurais à manger le matin, sans avoir peur d'avoir mal à chaque minute. »

La jeune femme sent son cœur se resserrer un peu, une émotion indescriptible l'envahissant et entraînant des larmes dans ses yeux.

« Le passé fait partie de nous. », murmure-t-elle, « Comme tes doigts font parties de ta main. Mais je ne laisserai pas redevenir présent. On est libres, Fao, libres. Le maître et tous ses petits servants sont morts. On a une maison. » Elle sourit un peu, « On a le soleil. Et tant que le soleil se lèvera le matin, tant que les ténèbres seront chassées par l'aube... Tout ira bien. On sera heureux. En sécurité. » Faolàn l'observe un moment, comme s'il était incertain.

« Libres... », répète-t-il, les yeux écarquillés et brusquement, une larme roule sur sa joue, « Bordel. »

Il pousse un rire ébahi, s'essuyant la goutte salée tombée de son œil.

« Oui. Bordel. », répète Freyja en lui offrant un sourire tremblant, des larmes affluant dans ses yeux, son cœur battant la chamade, « On l'a bien mérité. »

Faolàn hoche la tête.

« Fallait bien qu'ça m'arrive aussi. », grommelle-t-il d'un air faussement grincheux, tandis qu'intérieurement, le bonheur le secoue. Tandis qu'il sent une extase euphorique lui monter au cerveau et qu'un sourire, large, heureux, honnête, soulève les coins de ses lèvres. Freyja attrape son verre de vin et avale une gorgée avant de se lever brusquement.

« On sort ? », dit-elle, « Je veux voir le soleil se coucher. »

Faolàn l'observe une minute puis hoche la tête. Il se baisse et ramasse son bâton. S'appuyant dessus, il accompagne Freyja à l'extérieur où le même banc les attend depuis toujours. L'air est chaud, les oiseaux chantent et une brise agréable caresse l'herbe qui se penche et se relève. Ils s'assoient sur le banc et lèvent les yeux au ciel, vers la boule de feu qui l'entement disparaît à l'horizon, colorant le ciel de rose. Faolàn se mordille la lèvre.

« Quand j'étais petit... », commence-t-il et hésite. Freyja lui lance un regard en coin, lui demandant silencieusement de continuer. Il inspire profondément. « Quand j'étais petit, j'avais peur des couchers de soleil parce que j'avais peur qu'un matin, le soleil ne revienne pas. Que la lune l'ait avalé et que je sois condamné à rester dans les ténèbres pour le restant de mes jours. Dès que je voyais ce rouge au ciel, mon cœur accélérait et ... », il sourit, une rougeur involontaire lui montant au joue. Il baisse un peu les yeux, « Il m'est même arrivé de pleurer un peu. Un jour, Vila m'a vu. D'abord elle a ri et je me suis senti tellement ridicule et blessé que je ne lui ai pas parlé pendant des jours. Jusqu'à ce qu'un soir, elle vienne la nuit, une bougie à la main. Elle s'est assise à côté de moi et a pris ma main. Je l'ai laissé faire et elle... Elle s'est d'abord seulement excusée et puis ensuite, elle m'a dit que je ne devais pas avoir peur. Peut-être que le soleil va réellement disparaître, qu'elle a murmuré, mais c'est justement pour ça que tu ne dois pas avoir peur. Il faut profiter de chaque coucher de soleil comme si c'était le dernier. » Faolàn ferme les yeux. « Je lui ai répondu que je n'en avais rien à faire du stupide coucher et que j'avais surtout peur de la nuit. Vila a haussé les épaules. Elle m'a dit que j'étais idiot, que la nuit, ce n'était pas les ténèbres, bien au contraire. Elle m'a obligé à me lever et m'a forcé à l'extérieur. Au-dessus de nos têtes, il y avait des milliers d'étoiles. Elle m'a souri. Les étoiles, elle a murmuré, c'est comme des milliers de petits soleils qui prennent seulement la relève du grand soleil qui a besoin de repos lui aussi. Je n'ai depuis plus regardé la nuit de la même façon. » Faolàn secoue un peu la tête. Freyja rit doucement, un air rêveur dans les grands yeux.

« C'est joli, comme image. », dit-elle.

Le jeune homme sourit et la sert un peu plus fort dans ses bras.

« Tu trouves ? », murmure-t-il. Freyja hoche solennellement la tête.

« Oui. »

A l'horizon, le soleil a maintenant presque disparu.

Le ciel rose s'assombrit, la lune fait son apparition et une à une, les étoiles, les petits soleils, éclairent le ciel.

Freyja et Faolàn restent assis à l'extérieur, même lorsqu'il commence à faire plus froid, même lorsque la lune les illumine faiblement de ses rayons argentés. Ils restent assis, les yeux rivés vers le ciel, les cœurs battant en accord, le bonheur au creux du ventre, l'amour dans le creux des mains.

Un moment de paix dans un monde qui tremble, un moment de paix entre les étoiles et l'infini.

Vénus en fleursWhere stories live. Discover now