Petit-ami

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Me tenant debout, à l'encadrement de la porte de la chambre, je contemplais ma fille. Elle regardait par la fenêtre, un sourire aux lèvres. Elle fixait le voisin du bâtiment d'en face. Pour la taquiner, j'aimais lui dire sur un ton amusé que c'était son amoureux. A tous les coups elle rougissait et riait nerveusement. Elle était amoureuse, cela ne faisait aucun doute. J'étais tellement heureuse pour elle, tellement fière d'elle. Elle se tournait dans ma direction, me faisant un léger sourire accompagné d'un geste de la tête synonyme de "mamounette chérie, peux-tu me laisser relooker mon petit ami s'il te plaît ?"

Je lui rendais son sourire en ajoutant à l'action un haussement de sourcil montrant que j'étais (faussement) choquée et m'en allait dans le salon après avoir doucement fermé la porte. Je m'affalais sur la canapé, un soda dans une main, la télécommande dans l'autre. 

Les heures et les minutes défilèrent. J'étais toujours dans la même position, la seule différence était que mon estomac commençait à gronder. Cela voulait dire deux choses : soit une troisième guerre mondiale se préparait dans mon ventre, soit j'avais vraiment très faim. J'optais pour la deuxième réponse et me levait difficilement à la recherche de nourriture.

La table mise, les plats remplis, j'appelais ma fille. A ma plus grande surprise, elle arrivait en courant, affolée. Lorsque je m'apprêtais à lui demander ce qu'il n'allait pas, elle prit la parole. Elle me racontait, encore apeurée, qu'une femme l'observait depuis le parking. Evidemment, j'allais vérifier. J'ouvrais la fenêtre et scannait le parking. Il n'y avait pas le moindre signe de vie. Même le vent avait disparu. Je retournais me mettre à table, pensant que mon enfant avait peut-être des hallucinations. Je mangeais rapidement et retournais à mes occupations. Ma petite s'assit sur le fauteuil dos à la télévision et me regardait. Elle m'observait étrangement, avec insistance.

- Tu ne me crois pas, me dit-elle d'un ton grave.

- Bien sûr que si, c'est juste que quand je suis allée voir par la fenêtre, il n'y avait personne.

- Et pourtant je suis persuadée qu'il y avait quelqu'un. Peut-être est-elle partie lorsque je suis partie manger ?

Elle paraissait sérieuse, je ne la voyais pas souvent ainsi.

- Oui peut-être qu'elle aussi avait faim, qui sait ?

Soudain quelqu'un sonna à la porte. Lucie couru presque jusqu'à l'entrée pour ouvrir à l'inconnu. Je l'a rejoignis, les clés à la main. Je jetais un bref coup d'œil au judas de la porte. Une jeune femme aux longs cheveux se tenait devant notre paillasson. Curieuse, je lui ouvrais. Personne, il n'y avait plus personne. C'était étrange... Je regardais à nouveau dans le judas, la porte toujours ouverte. Elle était là, je pouvais la voir dans le judas mais pas dans le couloir de l'immeuble. Quelque chose n'allait pas. J'hallucinais. Ce n'était pas possible autrement. Soudain, la femme vraisemblablement invisible leva la tête. Ses yeux étaient noirs, on ne distinguait plus ses iris. Le blanc de ses yeux avait disparu. Il lui manquait la chair de sa joue gauche. Je voyais la partie gauche de ses dents ensanglantées. Prise de panique, je claquais la porte d'entrée.

De longues minutes passèrent où ma fille et moi nous regardâmes sans faire le moindre geste, comme paralysées. Je fis alors le premier pas. J'approchais doucement mon œil au judas. Le stress montait en moi. Personne, il n'y avait personne. Je me sentais comme rassurée. Le stress précédemment généré s'en allait doucement, les battements de mon cœur ralentissaient. Je me retournais tranquillement. Lucie n'était plus là. J'allais dans la salon et la vis allongée sur la canapé. Elle semblait dormir. Cela me rassurait encore plus qu'elle est oublié le sentiment de peur qui l'envahissait il y a encore quelques minutes. J'allais dans ma chambre chercher une couverture et l'étendais sur ma fille endormie. Je fis demi-tour pour lui prendre un coussin. Je lui soulevais la tête pour déposer l'oreiller et vis avec horreur une énorme tâche de sang sur le canapé. Je retournais alors doucement la tête de Lucie et constatais que le sang provenait d'elle. La chair de sa joue gauche avait disparu. Je poussais un hurlement et fis un bond en arrière. Tout était réel... Je n'hallucinais pas...

Je courus dans toutes les pièces de l'appartement, à la recherche d'un téléphone. Je devais contacter la police, les pompiers, le SAMU... Je devais contacter tout le monde ! 

J'accourais vers ma fille, un téléphone portable à l'oreille, et prenais son pou. Rien, rien du tout. Aucun battement de cœur, rien. Elle était morte. Ma fille était morte. Lucie... Des larmes commencèrent à couler de mes yeux. J'avais l'impression que des rivières me coulaient des yeux.

Je fonçais à la porte d'entrée et tentais de l'ouvrir, en vain. 

- Qu'est-ce que tu nous veux, hurlais-je désespérément.

Soudain j'entendis quelque chose s'ouvrir, comme une porte. Je constatais que cela provenait de la chambre de ma fille. Je m'y rendais, lentement. Mes doigts caressèrent les draps de son lit. Mon regard s'arrêtait sur un cadre posé sur sa table de nuit. Elle et moi y étions. Nous souriions dessus. C'était une de nos rares photos en vacances. Nous avions bien rigolé ce jour là, en tout cas... Bien plus que cette nuit. Ma fille se tenait debout, devant moi. Elle tenait la main de l'inconnue, de sa meurtrière. Et bientôt de la mienne. Ses yeux étaient complètement noirs. Mais elle souriait, elle me souriait. Je me sentais rassurée, comme si je ne craignais rien. La fenêtre s'ouvrait doucement, je savais ce que j'avais à faire. Je savais ce que j'avais à faire pour rester auprès de ma fille. J'enjambais le mur qui séparait la chambre du vide. Puis me laissais tomber. Je comptais les étages. J'avais l'impression de voler, je me sentais bien. Je serais désormais avec ma fille pour toujours. Quand je m'approchais du sol je jetais un dernier regard à la fenêtre et vis ma fille, souriante.

- Flash info : une femme se suicide en sautant du septième étage, juste après avoir couché sa fille. La fille l'aurait drogué pour pouvoir aller voir son petit-ami "sans être dérangée par sa mère envahissante". La soirée a tourné au cauchemar lorsque la femme s'est jeté par la fenêtre. Le suicide a sûrement été causé par les hallucinations de la mère droguée. La fille, désormais orpheline, sera bientôt placée en maison de correction ou en prison pour mineurs.

HISTOIRES D'HORREUROù les histoires vivent. Découvrez maintenant