Chapitre 4 :

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 L'anxiété me gagne depuis plusieurs jours. Je me ronge les ongles jusqu'au sang, j'épie mes voisins et j'espionne leurs conversations. Ambre ne comprend pas pourquoi je suis si anxieux. Rien ne sert de l'inquiéter, elle est bien trop jeune. De plus, nos parents ne sont toujours pas de retour. Ont-ils eu un empêchement ? Ils auraient dû rentrer il y a au moins deux jours, je commence à m'inquiéter. Une curieuse sensation s'insinue dans mon cœur, comme un picotement insignifiant, au début, qui s'intensifie à mesure que mes angoisses se développent. Je n'aime pas ce que je deviens, un être dévoré par le stress et l'anxiété. J'ai l'impression de passer mon temps à regarder par la fenêtre, à épier les moindres faits et gestes de mes voisins. J'ai toujours été ce qu'on appelle un « peureux », pourtant là, j'ai l'impression que c'est différent, comme si la peur faisait partie intégrante de moi. Ce sont de vraies obsessions qui ne me quittent plus. Je ne sais pas pourquoi l'absence de mes parents m'atteint autant, moi qui soupirais dès qu'ils me demandaient de l'aide. Je sais que le trajet entre notre planète et le lieu de livraison est assez long, mais quand même... Peut-être est-ce parce que je ne veux pas devoir faire l'adulte... Ma petite sœur s'inquiète aussi, elle pose des questions et je me contente de lui caresser les cheveux en silence en bafouillant des paroles qui se veulent être réconfortantes et qui sont en réalité très maladroites, baragouinant des « ça va aller » comme si j'en étais convaincu.

C'est aux alentours de 19 heures, lorsque la lumière de l'astre Nenan s'est déjà cachée depuis longtemps derrière les collines les plus lointaines, que ma sœur me tire par la manche. « Seth ! Tu peux continuer l'histoire que tu avais commencée ? S'il te plait ! » m'implore-t-elle. J'hésite, ce livre peut être synonyme de problèmes. Pourtant, il est tellement intéressant ! Cela me permettrait d'occuper la tête de ma sœur, et la mienne par la même occasion. De toute manière, je suis incapable de lui refuser quoi que ce soit. Je soupire et descends à la cave pour aller chercher l'ouvrage. En remontant, j'aperçois Ambre qui m'attend déjà au coin du feu, tapotant notre banc du bout des doigts en accompagnant son geste d'un sourire accueillant. En ouvrant le livre je me demande : « Ce livre... C'est bien une fiction, n'est-ce pas ? ». Ce n'est pas à elle que je pose la question, plutôt à moi-même. En y réfléchissant bien, pourquoi cela devrait-il être de la fantaisie ? Il est normal que des gens souhaitent aller sur la planète légendaire... Néanmoins, personne ne serait assez fou pour aller sur Naniorh, tout le monde sait que c'est synonyme de mort. Je reste partagé.

Ma petite sœur me regarde avec insistance pour que je commence la lecture, ne me laissant pas le temps de me perdre dans mes incessantes réflexions. Je m'éclaircis la voix et reprends là où je m'étais arrêté la dernière fois :

« Ce n'était pas un rocher. Quel idiot, j'aurais dû sonner l'alarme plus tôt, je m'en veux tellement. En réalité, c'était un monstre. La chose la plus repoussante que j'ai pu voir de toute ma vie. Un cervidé à la peau bleue et pâle avec des yeux rouges luisants dans la pénombre. Ses bois semblaient si aiguisés et sa gueule était pourvue de crocs affûtés. Il a chargé sur notre campement après avoir poussé un long cri rauque qui a résonné dans toute ma cage thoracique. J'étais paralysé, je me serais sûrement fait manger si Erik ne m'avait pas bousculé en hurlant. Nous nous sommes tous séparés dans la panique, et la bête a décidé de poursuivre Thomas. Certainement parce qu'il était le plus lent, le plus ensommeillé ou peut-être à cause de sa chevelure rousse qui a attiré l'œil de la bête. Je ne saurai l'expliquer, pourquoi lui et pas moi... Ce qui m'avait encore plus marqué, c'étaient les cris larmoyants de mon ami qui appelait à l'aide avant qu'un silence pesant ne retombe. J'ai cru qu'il était mort. Bon sang, je ne sais pas quelle mouche m'a piqué, j'ai cru bon de sortir de ma cachette armé d'un seul petit couteau.

Après avoir appelé Thomas doucement, j'ai retrouvé son corps encore chaud. Je ne sais pas quel saint le protégeait à ce moment-là : il était toujours vivant. Malheureusement, le monstre l'était aussi. Je me souviens encore de ses six pattes battant la terre brune en me fixant avant de me charger. Si l'on m'avait demandé mon nom à ce moment précis, je pense que je n'aurais pas su répondre. Tout ce que je sais, c'est que j'ai hurlé presque aussi fort que la bête en brandissant ma ridicule petite lame. »

J'écarquille les yeux en lisant ce passage avant de regarder ma sœur. Elle n'a pas l'air choquée, bien au contraire. Je secoue la tête et décide de lire les dernières phrases dans ma tête, hors de question de continuer à lui raconter ces horreurs. Je la vois fixer le livre en tentant vainement de comprendre ce qui est écrit, mais je refuse de lui lire la suite à voix haute.

« Je pense que je me suis uriné dessus, ce n'est qu'un détail. Erik était arrivé à temps et a tiré trois balles de tireur dans le corps du monstre, l'envoyant alors rouler au sol. Thomas était si faible, la vision de son corps déchiqueté et couvert de sang me retourne encore l'estomac. La bête ne l'avait pas entaillé assez profondément à la gorge pour le tuer, et tant mieux. Erik est allé chercher le kit de secours que nous avions laissé au campement et j'ai dû recoudre les plaies de notre ami. Quelle affreuse expérience, si vous voulez mon avis. Avoir la vie d'une personne au bout de son aiguille, c'est si stressant. Néanmoins, j'ai réussi à recoudre le plus gros, bandant sa gorge et son torse. Le problème, c'est que depuis, il ne s'est pas réveillé. Que faire ? Hors de question de le laisser ici, mais nous ne possédons pas de médicaments ni de quoi désinfecter les plaies, simplement des rouleaux de bandages. Je pense que pour le moment, nous devons nous reposer un peu. »

Je n'ai aucune idée de ce qu'est un tireur. Cependant, je comprends bien que ce doit être une arme qui tire des projectiles à distance, je ne vois pas d'autre solution. Ici, les gardes utilisent uniquement leurs sabres et leurs bâtons, pas besoin de tirer quand les cibles sont faibles et mal nourries. Ambre me pince pour que je continue à lui lire l'histoire, je ne cède pas.

Agartha - L'appel de l'inconnu [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant