Circonvolution

La seule condition au triomphe du Mal, c'est l'inaction des gens de bien.

Edmund Burke

1AU COMMENCEMENT

On ne sait jamais vraiment comment débuter, même s'il existe toujours un fait générateur, qui pousse inexorablement l'auteur à engager l'écriture. Autrefois, pour lutter contre les débuts difficiles, on utilisait la formule « il était une fois... ». L'histoire se déroulait ainsi dans une époque approximative, laissant libre cours à l'imagination du public.

Désormais, il va falloir faire mieux pour se démarquer de la concurrence exacerbée des nombreux écrivains et quidams qui s'emploient chaque année à publier d'innombrables pensées, romans ou biographies.

Pour ma part, je préfère donc négliger le début, pour ne m'attarder que sur l'essentiel.

2L'ESSENTIELHASARD (LUTTER N'EST PAS JOUER 1/24)

Résolument, il n'avait recherché ni la gloire ni le pouvoir, et pourtant, il était devenu incontournable.

Tout avait commencé ce jour où son regard s'était troublé à la lecture de ce mail. Ce jour fut celui de sa naissance, la naissance d'une nouvelle vie, celle qu'il choisirait, son auto-création. Une existence contrôlée par sa seule volonté, sans Foi ni Loi, sans Dieu ni Maître, sa destinée choisie et espérée.

Et pourtant qui eut cru qu'une maladie puisse être son sésame ? Il pensait que son addiction le perdrait, or elle le sauva. Mais pour combien d'autres, malheureux, s'avéra-t-elle funeste ? Souvent, encore aujourd'hui, il se le demande.

La maladie du jeu, cette croyance en sa chance, cet espoir de s'enrichir, l'habitait depuis son adolescence.

Déjà, les longues pauses méridiennes du lycée s'enchaînaient en de virulentes parties de baby-foot, prétexte de son addiction, ce tirage au sort, renouvelé toutes les cinq minutes dans toutes les piteuses brasseries. Agrippant les manettes de mini footballeurs, un œil naviguant de la petite balle blanche aux buts, l'autre sur son but : l'écran bleu qui diffusait en direct le tirage de la bonne combinaison des huit bons numéros parmi les vingt de la grille et leur quatre complémentaires. Ce rêve de rafler 10 000 fois sa mise !

Comment pourrait-il aujourd'hui accabler le bistrotier qui l'autorisait à ce vice d'adulte ? Après tout, c'est grâce à lui si sa vie fit place au hasard !

Ce fut le début de son accoutumance au jeu, exaltée à sa majorité, qui marquait sa possibilité d'entrer au casino. Summum de la jouissance du joueur, les casinos sont les lieux de l'aspiration à la richesse. S'y accompagne la nécessité de satisfaire cette envie plus régulièrement et moins coûteusement. Alors les jeux à gratter ou les tirages des buralistes vous hantent.

C'est ainsi qu'il finit par s'enticher de la loterie européenne dont personne ne peut vraiment savoir ce qu'il ferait d'une telle cagnotte. Et les perfides créateurs du jeu avaient pensé à tout en permettant aux plus accrocs d'adhérer à un abonnement. Il y avait évidemment succombé.

Les samedis matin devinrent les témoins d'un rituel immuable : à la première paupière entrouverte, lui venait à l'esprit l'espoir du gain. Son premier geste se destinait systématiquement à l'allumage de son ordinateur, puis une fébrile impatience l'envahissait, le réveillant, pendant que la connexion au réseau s'établissait. Enfin sa messagerie lui indiquait l'arrivée de nouveaux messages, où il guettait avidement un courriel de l'officielle loterie.

Ce matin-là, il le vit arrivé, et curieusement il s'y attendait. Son index se crispa sur la souris, qui cliqua l'ouverture du courriel dans lequel l'attendait l'annonce du montant remporté. Jamais, il n'avait gagné plus d'une dizaine d'euros. Alors qu'elle ne fut pas sa surprise lorsqu'il lu : « Félicitations M. Ménhard ! Nous sommes heureux de vous annoncer que votre jeu N°382123642 est gagnant. Voici le montant des gains cumulés de votre jeu : 98 000 000 euro(s) ».