L'ouverture de la porte du couloir me dispensa de répondre. Ian aimait me taquiner, il draguait aussi tout ce qui bougeait, sauf Mato. Heureusement, car je crois que notre ours l'aurait mal pris. Yuutô revint, accompagné par deux militaires et la jeune scientifique, Rachel. Ian lui avait arraché son prénom en flirtant à outrance... Enfin, s'il n'avait fait que flirter.

Une fois mon petit frère bien en sécurité dans notre cellule, Rachel jeta un coup d'œil à Ian. Ses joues rosirent lorsque l'aigle lui sourit, et elle s'empressa de quitter notre aile, les gardes sur ses talons.

Yuu-kun n'était pas d'un naturel bavard, cependant, je trouvai son silence suspect. Quand on revenait de tests, on racontait tout aux autres pour tenter de rassembler des indices.

— Yuutô ?

Malgré la lumière réduite, je remarquai sa pâleur. Il transpirait, et son angoisse me frappa de plein fouet.

— Mame-chan ?

— Deux minutes, je réfléchis.

Son ton contrarié me mit les nerfs en pelote. Mato arrêta ses exercices. Nous commencions à tous bien nous connaître, et la note de colère dans la voix de Yuutô était inhabituelle. Mon petit frère n'était jamais agacé.

La dernière fois que j'avais entendu cette nuance de rage dans son ton, c'était avant notre incarcération. Avant que nous ne commettions l'irréparable.

Yuutô chuchota pour que seuls les changeformes que nous étions devenus puissent le percevoir.

— Il faut que nous partions d'ici, Onee-chan. Et vite !

Depuis quelques semaines, nous préparions méticuleusement notre évasion. Mato avait fait plusieurs fois semblant de s'enfuir pour qu'on connaisse leur protocole. Ian avait séduit Rachel afin de récupérer un certain nombre d'informations. Il avait aussi réussi à préparer un sac de matériel qu'il avait planqué. Ma carte mentale était désormais au point, et j'avais pu déterminer où nous étions retenus. Yuutô, lui, écoutait aux portes, ce qui nous avait permis de noter les tours de gardes et d'autres renseignements bien utiles.

Notre évasion devait avoir lieu la semaine suivante, lorsque le docteur serait absent.

— Impossible, souffla Ian. Le planning.

— Nous ne pouvons pas attendre ! ragea Yuutô, tout bas.

— Pourquoi ? demanda Mato.

Yuutô ne répondit pas immédiatement. Je pouvais presque entendre son cerveau tourner à plein régime, alors qu'il se rongeait avidement les ongles. Que manigançait-il ?

— On doit le faire rapidement, ils vont amener de nouveaux prisonniers. On ne leur suffit plus, ils veulent mener d'autres expériences. Ils risquent de nous éliminer.

Je fronçai les sourcils. Ça sonnait presque juste. Presque...

— En es-tu sûr ? Devons-nous vraiment avancer nos plans ?

Il se tourna vers moi, et son visage fermé me répondit. Le pli buté de sa bouche m'arracha un soupir. Je soufflai :

— Bien, on va le faire, alors. Le plus vite possible.

Après un long débat, notre évasion fut programmée cette nuit-là, le docteur n'étant pas de garde aujourd'hui. Après tout, nous étions prêts, non ? Lorsque le vieux scientifique n'était pas sur place, il y avait moins de soldats, et ils se relâchaient. Le docteur régnait en maître absolu sur le labo, sa présence renforçait la cohésion de l'équipe. Rachel n'était pas efficace et trop influençable.

Une heure plus tard environ, Ian inspira plusieurs fois et, après m'avoir adressé un clin d'œil discret, il s'effondra au sol. Il convulsait de manière terriblement convaincante.

Je criai à l'aide de tous mes poumons, et enfin, trois militaires débarquèrent, accompagnés par Rachel. Cette dernière ouvrit la cellule des garçons en urgence, sans vraiment regarder autour d'elle. Un garde entra à sa suite, pendant que les deux autres nous pointaient de leurs pistolets aux fléchettes tranquillisantes.

Rachel s'avança jusqu'à Ian, protégée par un soldat. Il braquait son arme vers la masse sombre dans un coin de la pièce.

— Grégor, allume les lumières, s'exclama-t-il.

Je fermai les yeux pour ne pas être trop éblouie, et lorsque je les rouvris, Ian subtilisait les clefs de Rachel pendant qu'elle l'examinait. Elle était bien trop concentrée pour s'en apercevoir, et les autres gars se focalisaient sur les monstres.

Yuutô gronda doucement. Sa fourrure tachetée accrochait la lumière, il parcourait notre cage de long en large, attirant le regard des deux autres gardes.

Le léopard souffla. Mato sous sa forme d'ours rugit et sauta sur le militaire dans la cellule des garçons. Alors que les autres se tournaient vers lui, Rachel cria, pendant que Ian la repoussait et s'évadait de leur prison.

Les gardes eurent à peine le temps de réagir qu'il nous avait déjà ouvert. Mato sortit lui aussi. Sous sa forme d'ours, il passait à peine par la porte grillagée. Son adversaire gisait au sol dans une flaque de sang. Rachel semblait en état de choc, elle hurlait toujours.

Les deux militaires restants se reprirent et visèrent Mato. Je me faufilai jusqu'à eux. L'ours chargea l'un, pendant que j'assommais l'autre proprement. J'étais restée humaine, deux paires de mains s'avéraient utiles en la circonstance.

Ian récupéra une arme, je fauchai un couteau, et nous déboulâmes dans le couloir de l'administration. Deux gardes nous y attendaient.

Ils firent feu. Mato rejeta les fléchettes d'un coup de patte. Ian tira et atteignit l'un d'eux à la jambe. Yuutô se jeta sur le deuxième, avant de le mordre à l'épaule. Le sang gicla, l'homme s'effondra au sol. Nous n'avions pas le temps de réfléchir. Notre plan était précis et minuté, il ne restait pas de place pour les états d'âme.

Nous courûmes. La liberté n'était plus très loin. La seule difficulté résidait dans les issues blindées. Le trousseau de Rachel contenait le pass, je l'avais embarqué avec moi.

Trois autres gardes nous barrèrent le passage à l'entrée du hall de sortie. Je fonçai et attaquai la première, Mato sur mes talons.

Une militaire brune répondit à mes coups. Elle m'atteignit dans le ventre, mon souffle se coupa un instant, mais je me repris et je raffermis ma prise sur le couteau pour l'enfoncer dans la cuisse de la femme soldat. Elle retint un gémissement, dégaina son pistolet et tira.

Une douleur fulgurante me transperça le côté droit.

— Saori !hurla Ian.


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