IX. LE LION DE NÉMÉE

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━ Maître Hercule, par pitié, sauvez-moi !

Les cris s'avérèrent rapidement inutiles. Mais Patos, couard de son état, continuait de se vider les poumons en appels à l'aide.

━ Je suis pris ! se dit-il à lui-même. Je suis pris et je vais mourir ainsi, c'est trop bête. Nous avons dû être attaqués par des paysans locaux qui auront tué ce pauvre Hercule et décidé de me sacrifier aux Dieux. C'est trop bête !

Il s'assit en tailleur et se balança d'avant en arrière tout en marmonnant des bouts de mots indéchiffrables.

━ Maître Hercule, où êtes- vous !? cria-t-il désespérément en levant la tête et les bras en l'air.

━ Vas-tu donc fermer ton gros clapet, brigand de malheur ? lui répondit une voix qui semblait provenir d'un fourré non loin du sommet de la colline.

━ Maître Hercule ?

━ Qui donc veux-tu que ce soit ?

━ Oh, vous êtes vivant, bien vivant ! Je vous croyais mort, horriblement assassiné par de féroces paysans !

━ Ha ha, moi assassiné par de vulgaires va-nu-pieds ? Une armée entière ne viendrait pas à bout de mes biceps, alors des paysans, laisse-moi rire ! rigola Hercule, qui n'avait pas bougé de derrière les branchages.

━ Mais alors, si ce ne sont pas les paysans...

━ ... alors c'est Bibi !

━ Bibi ?

━ Mais oui, moi.

━ Vous ! Mais que vous ai-je donc fait pour que vous me traitiez de la sorte ? demanda le brigand à genoux.

━ Ta présence m'inspire, Patos. A tes côtés, je me sens plus intelligent et les idées fusent dans mon cerveau. Aussi, lorsque j'ai émis un doute sur la préférence du lion à te dévorer plutôt que le mulet, un éclair m'a traversé l'esprit et j'ai compris qu'il nous faudrait user de roublardise pour attirer ce lion. C'est pourquoi je t'ai laissé t'empiffrer comme un porcelet jusqu'à ce que le sommeil s'empare de ta personne, et c'est avec difficulté que le mulet et moi t'avons hissé en haut de cette colline. Tu es gras comme un loukoum, mon ami !

━ Horreur, je suis prisonnier de mon propre maître !

━ Ne te plains pas, la vue est belle. On dit dans tout le pays que Némée, c'est ce qu'il y a de plus beau, et maintenant que je t'ai monté si haut, tu vas pouvoir me servir et d'appât, et d'éclaireur !

━ Par la vierge olive de mon pays, je suis perdu. Le lion ne fera qu'une bouchée de moi !

━ Une bouchée, une bouchée, tu es bien optimiste. Un Patos tout entier suffirait à fournir un banquet plein de sénateurs, j'en suis certain.

━ Mais, maître Hercule, pourquoi moi, et pas le mulet par exemple ? Changez d'avis, je vous en conjure, il aurait fait un bien meilleur appât ! Voulez-vous ?

━ Ah ah !

━ Ah ah ?

━ Mais le mulet, lui, Patos, sait porter mes affaires sur plus d'un mille, et ce sans se plaindre une seule fois. Je ne pouvais pas prendre le risque, vois-tu !

━ Oh malheur, malheur, malheur, se lamentait Patos en tirant sur sa corde sans parvenir à faire céder le piquet.

━ Silence, Patos, on vient ! s'écria Hercule, toujours tapis dans son fourré.

Et effectivement, on venait.

Une ombre se dessinait sur le jaune orangé d'un coucher de soleil comme il en existe nulle part ailleurs.

━ Chic chich chic ! C'est lui, c'est le lion ! se réjouit Hercule à voix basse.

━ Le lion !

━ Chut, tais-toi, tu vas effrayer la bête.

━ Mais détachez-moi par pitié ! Maintenant que nous la tenons, il est inutile de me garder au bout de votre piquet, nom d'une outre vide !

━ C'est là tout le subterfuge, Patos. Laisse le lion s'approcher de toi et au moment opportun, je lui décoche un carreau dans le collet.

━ Par Zeus tout puissant, maître de l'Olympe, commença Patos en retombant à genoux, la paume de la main droite vers le ciel. Ayez pitié d'un pauvre pénitent à la merci de votre fils de demi-Dieu et d'une bête fantastique. Si vous me tirez de ce mauvais pas, je vous jure sur le Styx d'abandonner la vie criminelle et de servir le bon pour le restant de ma vie.

Maintenant, ce lion de Némée tant craint par la population et fruit d'unions douteuses entre divinités, se présentait tout entier à la vue de nos deux compagnons. C'était un fauve d'une taille démesurée, long comme un Hercule, épais comme un Patos.

Deux yeux semblables à des charbons ardents contrastaient avec le contre-jour de cette fin d'après-midi. Un affreux grognement sortant d'une gueule dégoulinante et révélant des crocs d'un pouce de longueur accompagnait sa démarche prudente et assurée. Ses naseaux expiraient un de ces souffles brûlant comme on en trouve seulement au-dessus d'un tison.

La bête s'immobilisa, curieuse de trouver une proie si appétissante et si facile.

Patos continuait d'en appeler aux Dieux.

Hercule se terrait et tenait une flèche prête à siffler.

L'animal fit encore quelques pas.

A mesure qu'il s'approchait de Patos, les prières du brigand se faisaient plus appuyées et plus suppliantes.

Le lion rugit. Il rugit si fort que ce cri infernal s'en alla résonner sur les pans des collines environnantes.

Patos s'évanouit de terreur et mouilla sa toge.

Le lion, parvenu à proximité de l'appât, le renifla curieusement et fit jouer les cheveux du brigand de son haleine embrasée.

Ce fut le moment que choisit Hercule pour se dresser de toute sa taille par-dessus les fourrés. Il ajusta la proie, qui lui présentait son flanc tout en entier, et lâcha son carreau.

La flèche transperça l'air dans un sifflement aigu et, stupeur ! rebondit sur le cou de l'animal, qui sursauta à l'impact.

Vif comme un gardon, Hercule, qui bénéficiait du contre-jour, tira une seconde flèche de son carquois et la décocha cette fois en direction de la bedaine du lion, mais une fois encore, le carreau ricocha sur son bas-ventre et se planta dans le sol.

Le chassé, surpris par la nuit tombante, ne pouvait apercevoir son chasseur. Aussi jugea-t-il plus prudent de rebrousser chemin à reculon, désappointé de ne pas s'être mis cet appétissant paysan sous les dents, puis s'engagea au pas de course sur un sentier avant de disparaître complètement du champ de vision de notre héros.

━ Par Arès, qu'est-ce que c'est que cette bestiole ? dit Hercule en constatant que le carreau de ses flèches se trouvait tout déformé par l'impact. Sa peau est-elle réellement aussi impénétrable qu'on l'affirme ? Il nous faudra trouver un autre moyen. En attendant, réveillons cette petite poltronne de Patos et allons chercher le mulet dans la clairière, la partie de chasse ne fait que commencer !

HerculeWhere stories live. Discover now