Hercule

I. PYTHIE, PYTHIE, PYTHIE

S'il était donné au lecteur la capacité d'accompagner le vol de cette colombe qui s'élance là-bas au loin, s'extirpant avec grâce du feuillage touffu habillant les nobles forêts des flancs du Mont Parnasse, alors il lui serait permis d'embrasser un panorama exceptionnel et privilégié, d'où, d'un seul claquement d'aile, se serait dévoilé à ses yeux cette montagne sacrée veillant sur le Golfe de Corinthe, et, blottie entre cime et mer, le sanctuaire de Delphes.

Au moment où l'astre atteignait son zénith, le sanctuaire, frappé de plein fouet par les rayons du soleil, illuminait la région entière de son blanc immaculé. On y trouvait là, sur les flancs du Mont Parnasse, une succession harmonieuse de bâtiments arborant marbres et boiseries.

Profitons de cette liberté qui nous est donnée pour substituer nos yeux à ceux de cette blanche colombe et admirer plus en détail le décor qui s'offre à notre vue. Au nord du sanctuaire, creusé à même la roche, s'élevait l'amphithéâtre de Delphes ; plus au sud, comme des graines que l'on sème, étaient disséminés une foule de temples dédiés aux cent divinités de l'Olympe.

Mais le monument qui nous intéresse en plus haut lieu est le temple d'Apollon, dressé perpendiculairement au flanc de la montagne et délimitant le sanctuaire en deux parties distinctes, où nous allons justement poser le premier clou du tableau que nous nous apprêtons à vous conter.

La colombe, d'un vol gracieux, vient justement de franchir la grande porte du temple, à la recherche d'un peu de fraîcheur. Sous ses yeux, entouré d'une double douzaine de brasiers alimentés à longueur de journée, s'enfonçait un trou béant d'où s'échappait continuellement des vapeurs provenues tout droit des entrailles de la Terre.

De chaque côté de ce gouffre, on pouvait apercevoir deux silhouettes : la première, assise sur un trépied et frêle comme une biche, était la Pythie de Delphes. On venait la voir des quatre coins de la contrée afin de la consulter sur des affaires auxquelles seuls les Dieux avaient une réponse.

━ Pouah ! fit la seconde silhouette, une espèce de buffle à l'apparence d'un homme, mais ça empeste là-dedans !

━ Cher Alcide, répondit la Pythie, vous n'avez pas patienté des semaines entières aux portes du temple dans l'attente de notre entrevue pour, une fois en ma présence, vous plaindre de cette odeur divine ?

━ N'empêche que ça prend aux narines votre machin, j'espère que vous vous lavez bien le museau en rentrant chez vous le soir, car j'ai connu un rôtisseur qui passait la journée devant ses broches et...

━ Silence ! Mon temps est précieux. Exposez-nous la teneur de cette entrevue, Alcide. Qui êtes-vous, que voulez-vous ?

━ Je me nomme Alcide, fils de Zeus et d'Alcmène, mais ça, vous devez déjà le savoir, puisqu'il est de notoriété publique que ma mère ayant été séduite par le maître de l'Olympe à son insu, elle donna naissance à un beau bambin gros comme un petit buffle, mais s'attira du même coup les foudres d'Héra, épouse cocue de Zeus. Un beau jour, alors âgé de quelques mois seulement et sans que je ne sache comment, je me réveillai dans de beaux draps soyeux et aperçus à portée de tétée un sein particulièrement affriandant duquel je m'empressai de soutirer le lait. Héra - car c'était bien elle, découvrant avec horreur cet enfant détestable issu d'une relation adultère, me renvoya vivement chez ma mère et garda contre moi une haine endormie, qu'elle se promettait de réveiller à la première opportunité.

━ Tout le monde ici connaît cette histoire, Alcide, enfant chéri de Zeus, détesté de Héra. Ce qui m'intéresse, c'est la suite, car c'est à ce moment que nous perdons votre trace.

━ Je fus envoyé à l'école de Maître Chiron, où le matin nous apprenions à manier arcs et épées, et l'après-midi à nous familiariser avec les lettres et la musique. Mon professeur de lyre, d'ailleurs, cet imbécile de Linos, fatigué de me voir faire sortir de cet instrument des notes à faire fuir un pigeon, me poussa tellement à bout qu'il scella par ses remontrances son triste sort.