La différence entre vivre et mourir

2› j'entends une seconde voix derrière ta langue

7 DÉCEMBRE

- Tu es vexée ?

- Bien-sûr que non.

- Tant mieux, pour une fois que j'arrive à avoir une conversation avec quelqu'un, je ne voudrais pas te faire fuir toi aussi.

- Parce ce que tu fais fuir les gens ?

- Rien qu'hier, un mec a cru que j'étais coincé et il a voulu m'aider. Je lui ai dit que tout allait bien, j'ai essayé de lancer la discussion tu vois, et le temps de tourner la tête, le gars s'était barré.

- Normal, il a dû te prendre pour un fou !

- Mais ta réaction a quand-même été la meilleure que j'ai jamais expérimenté.

- C'était pas une blague quand tu disais que tu venais souvent te suspendre à ce pont ?

- Ça fait plusieurs semaines, ouais. Depuis je croise toujours les mêmes personnes, qui ne font même plus attention à moi pour la plupart.

- Tu sais que c'est vraiment hyper bizarre ?

- Oui, je sais.

- Et tes parents sont au courant ?

- À vingt-et-une heure, je suis chez moi, j'habite juste à côté. Officiellement, j'ai cours de tennis alors tout va bien ! Et toi, qu'est-ce que tu fais dehors à cette heure là ?

- Rien... Enfin, une histoire avec ma mère. J'avais besoin d'air.

- Tu diras merci à ta mère.

- ... Et pourquoi ?

- Grâce à elle, j'ai fait une rencontre pas comme les autres.

- C'est plutôt moi qui ai fait une rencontre pas comme les autres, ouais. Je pourrai dire que j'ai rencontré un mec suspendu à un pont en pleine nuit et que je me suis ridiculisée en voulant voler à son secours.

- Ou mourir avec lui.

- ...

- ...

- Je devrais y aller. On ne se connait pas, il est tard, je suis seule et tu pourrais être un putain de psychopathe.

- Sauf que j'en suis pas un et tu le sais. J'ai peur du sang et des araignées, je ressemble à un louveteau et tu cours sûrement trois fois plus vite que moi. Je serais le psychopathe le moins crédible du monde.

- C'est pas faux.

- Alors tu restes ?

- D'accord.

- ...

- ...

- Pour en revenir à ce que j'ai dit tout à l'heure, il y a des filles et des garçons charmants, d'autres beaux, et certains ne sont aucun des deux.

- ...

- Bon OK, j'ai manqué un peu de subtilité, mais je voudrais t'expliquer pourquoi je t'imaginais plus belle. Histoire de ne pas gâcher cette soirée pas comme les autres.

- Tu sais, je m'en fous un peu que tu me trouves ou pas à ton goût. T'as vraiment pas à t'inquiéter.

- Mais justement, tout se joue sur les définitions, c'est pour ça que tu ne m'as pas compris. Je disais donc qu'une personne pouvait être belle, charmante, et parfois aucun des deux à nos yeux.

- Je crois que tu t'enfonces, là.

- Et il y a une différence entre beau et charmant.

- Ça ressemble fortement à un genre de disquette de looser, tu le sais ça ?

- Être beau, c'est comme une évidence, c'est répondre à des critères, souvent plus artificiels. Être charmant, c'est être soi et se suffire à soi-même, dans le sens où une personne charmante a ce quelque chose qu'on retient. Les personnes belles sont ennuyantes. Les personnes charmantes sont inoubliables.

- Je ne suis pas d'accord.

- Tu viens juste de gâcher tout le solennel de ma réplique.

- Je suis plutôt forte à ça.

- Moi aussi, mais seulement avec les gens que je n'aime pas. Et ils sont plutôt nombreux.

- Ah, tu es un genre de paria de la société ?

- C'est ça. Maintenant explique-moi pourquoi tu as démonté mes beaux mots. Tes arguments ont intérêt d'être en béton.

- C'est juste par rapport aux mots. J'échangerais ta définition de la beauté avec celle du charmant.

- Tu veux m'entendre dire que tu es belle, c'est ça ?

- C'est mon but dans la vie.

- Tu es... Belle.

- Enlève-moi cette moue séductrice pourrie !

- J'ai mis du temps à la mettre en place, ne la critique pas, s'il te plaît.

- Vraiment désolée.

- ...

- ...

- Je crois que j'ai froid.

- Non, tu as juste des spasmes, les lèvres bleues et les dents qui claquent, rien de bien important.

- Une personne se voulant prévenante m'aurait proposé sa veste ou quelque chose comme ça.

- Je ne suis pas une personne prévenante.

- C'est faux. Tu veux faire croire que tu ne l'es pas, mais tu grelottes autant que moi à force de me regarder, et je suis sûr que tu luttes intérieurement pour ne pas me proposer ton écharpe et ton manteau.

- ...

- Je suis doué, je sais.