Tout cela parce que la Reine, Marie Stuart, du haut de ses dix sept ans et onze mois de règne français, avait convaincu son père que c'était le mieux pour elle. Les Écossais, particulièrement les Highlanders, étaient des hommes d'honneur, courageux et travailleurs, qui tenaient beaucoup à leur épouse. Néanmoins, Adrastée n'était pas dupe. Marie Stuart, devenue souveraine d'Écosse seulement 6 jours après sa naissance, avait épousé François II uniquement pour ce que la France pouvait apporter à sa patrie. En l'occurrence, marier une héritière terriblement riche à l'un de ses nobles était une manière avisée de faire rentrer de l'argent dans sa nation. Au même titre qu'elle, son père avait deviné les intentions de Sa Majesté, mais ne pouvait l'en blâmer. Elle avait besoin que son royaume s'enrichisse, il avait besoin d'un époux pour sa fille. Leur accord avait été rapidement concluant, scellant le destin d'Adrastée.

Essayant de se concentrer sur ses exercices d'écriture pour la énième fois, elle poussa un cri de rage en lançant son encrier à travers la pièce. Il alla se fracasser sur le mur opposé, dans une grande gerbe noire qui éclaboussa le bois clair. Alerté par le vacarme épouvantable, un jeune homme déboula dans la chambre.

— Adé, tu n'es pas possible ! C'est le deuxième en deux jours.

— Je n'en ai cure !

— Pas moi ! Père tient à ses navires, tu le sais, alors cesse de tout salir.

Boudeuse, elle détourna la tête, le menton levé en un geste hautain qu'elle maitrisait à la perfection.

Poussant un soupir, il alla s'asseoir sur le lit pour lui faire face.

— Adé, je sais que tout ceci est dur à vivre pour toi, mais...

— Dur à vivre ? DUR À VIVRE ? Mais c'est l'euphémisme du siècle !

— Baisse d'un ton je te prie. Je suis certes patient, mais j'ai mes limites.

— Ne commence pas à jouer les grands frères autoritaires, Léo. Tu sais que cela n'a jamais fonctionné avec moi.

— À mon grand désarroi. Et à celui de Max et Charles.

— Mensonge. Vous avez toujours adoré vous faire mener à la baguette par votre petite sœur. Qu'allez-vous faire sans moi ?

— Savourer le silence ?

Vexée, elle changea de sujet.

— Je regrette que Charles ne m'ait pas conduite. Le voyage aurait été bien plus distrayant.

C'était un coup bas, ils le savaient tous deux, mais elle souffrait et ne voulait pas qu'il l'oublie. Cela aurait été impossible, vu qu'il l'écoutait geindre sans interruption depuis deux jours.

— Tu sais très bien pourquoi Père m'a confié cette mission. Nous étions tous trois suffisamment compétents pour ce qui va suivre, mais Maximilien était occupé avec sa jeune épouse et Charles est trop influençable. Tu serais surement parvenue à le faire changer de direction, pour te ramener à la maison ou te déposer dans une contrée inconnue.

Évidemment, il avait raison. Charles était son frère le plus proche, de seulement deux ans son ainé. Après deux frères plus âgés, plus forts et plus charismatiques, il cherchait par tous les moyens l'aventure et la reconnaissance. Mais surtout, il adulait Adrastée, sa petite sœur chérie. Il avait été le plus affecté par l'annonce de ses fiançailles, particulièrement quand elle avait fait une crise dans toute la maisonnée, brisant des vases contre les murs en hurlant à pleins poumons. Elle n'était pas fière de ce passage, indigne d'elle, indigne de l'humilité qu'elle s'était juré de garder, et qu'elle avait perdu.

Cherchant du réconfort dans un geste anodin, elle se saisit de sa brosse pour démêler sa chevelure, pour la septième fois depuis une heure.

— Adé, je ne parviens pas à imaginer tout ce que tu peux ressentir... Mais j'espère sincèrement que tu n'en veux pas à Père pour son choix, ni à moi pour accomplir son dessin. Tout ce que nous faisons, nous le faisons pour toi, j'espère que tu le sais.

Elle baissa le regard, honteuse. Sa gorge était nouée par l'émotion. L'amour qu'ils lui portaient était inconditionnel, pur et profond. Savoir qu'elle allait en être privée était aussi douloureux que le fait que c'était cet amour lui-même qui était la cause de son éloignement. Parce qu'ils étaient prêts à tout pour elle, même à la forcer à vivre dans un pays à des milliers de kilomètres de chez eux pour son bien.

Elle reposa sa brosse et se tourna vers lui, les yeux illuminés de larmes.

— Je le sais, Léo.

— Lochmaddy est en vue, hurla alors la voix d'un matelot dans le lointain.

Elle sursauta vivement, pinçant fort les lèvres pour ne pas crier. Son frère enferma ses mains tremblantes dans les siennes.

— Tout va bien se passer, lui assura-t-il pour l'apaiser. Je ne laisserais personne te faire du mal.

Jusqu'à ce que tu t'en ailles, songea-t-elle amèrement.

— Comment tu me trouves ? demanda-t-elle pour maitriser sa peur, se retranchant derrière les apparences, si réconfortantes.

Il la détailla avec application. Sa toilette était étudiée et opulente, reflet de son sang noble. Elle avait passé toute la matinée à se préparer, il était conscient d'à quel point cela comptait pour elle. Elle avait été éduquée ainsi.

— Tu es magnifique, comme toujours. Viens, allons voir comment est ta nouvelle demeure.

Il l'aida à se lever et elle enroula son bras au sien, prenant pleinement appui sur lui. Elle n'avait pas la force d'avancer seule.

Quand ils arrivèrent sur le ponton, l'air marin leur fouetta le visage, faisant s'envoler leurs cheveux si semblables. À tribord, des dizaines d'îles silencieuses flottaient, indifférentes au ressac, fortes de leur nature sauvage et millénaire. À bâbord, les terres s'étendaient à perte de vue, vertes et planes, balayées par les vents. En face, droit devant elle, un port avait été taillé à même la roche de la falaise, en haut de laquelle trônait un château austère.

C'est donc ici que je vais vivre.

Pour l'Amour d'un Highlander ✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant